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Humanitelles : Veuillez évoquer votre engagement citoyen ? Politique ?

Bouchra Sirsalane : J’ai rejoint le Modem en 2013, après avoir voté pour François Bayrou auparavant. Je ne me voyais pas être dans un autre parti. Ce que j’attendais de cet engagement, c’était un cadre et un accompagnement qui s’inscrit dans une démarche d’apprentissage et de transmission des valeurs, me permettant ainsi de m’individualiser personnellement et politiquement.
Je considère que tout est interconnecté : moi, les autres et l’environnement. Pour évoluer en politique, il faut développer ces trois rapports : soi, les autres et le monde. Trouver un équilibre tout en préservant son individualité et en même temps d’évoluer ensemble. Je ne suis pas pour la révolution, mais pour l’évolution. Aujourd’hui, force est de constater que ces interconnexions en politique sont fragiles.
Mon mentor, Christophe Grèbert, journaliste et ancien élu Modem, a été ma plus belle rencontre politique. Il possède un sens de l’engagement fondé sur l’éthique, le devoir et la contribution. Je n’ai pas d’ambition politique personnelle ; je ne cherche pas à devenir ministre. Mon objectif était de découvrir le monde politique et d’en faire l’expérience. Je suis élue locale depuis 2014 et j’occupe le mandat de conseillère municipale. J’ai été accueillie avec bienveillance par de nombreux militants du Modem, en grande partie grâce à la notoriété de Christophe.
Les partis politiques devraient être les lieux où l’on transmet et réaffirme les valeurs et où l’on incarne la société d’aujourd’hui. Je considère que ce n’est plus le cas. Il faut tout reconstruire. Les partis se sont éloignés de leur essence fondamentale et ne sont plus alignés avec les idéaux qu’ils défendent. Il y a une véritable crise du leadership. Il y a ceux qui servent et ceux qui se servent ; entre les deux, c’est un rapport de force.

Humanitelles : Parlez-nous de « Femmes Démocrates » dont vous êtes la présidente.

Bouchra Sirsalane : « Femmes Démocrates » est un think tank créé en 2021, dont les statuts ont été publiés au Journal Officiel en novembre 2022. La création de ce think tank relevait de l’évidence. Il est dévoué à l’avancement des droits fondamentaux et à la promotion de la mixité dans les sphères décisionnelles.
Fondée sur les valeurs de l’humanisme, de l’engagement et de la laïcité, notre association s’efforce d’être un catalyseur de changements significatifs au cœur de notre société. Nous voulons être un espace d’entraide et de partage de savoirs pour toutes et tous. À sa création, nous avons reçu le soutien de nombreux hommes. Nous en sommes encore au stade de la structuration et de l’expérimentation, où nous nous donnons la liberté de penser, de réfléchir et de mettre en forme ce projet. C’est un lieu où nous voulons grandir, mûrir et apprendre. Bref, rien n’est figé, tout est en mouvement. In fine, nous voulons développer de nouvelles approches en pédagogie politique.
Le bureau est composé de sept membres, et nous comptons actuellement une centaine de sympathisant.e.s. Afin de protéger nos écrits, études et réflexions, j’ai déposé notre marque #AvecElles. En février 2022, #AvecElles a été repris par « En Marche ». #AvecElles a profité des présidentielles de 2022 pour publier une tribune intitulée « #AvecElles sans Marine Le Pen », qui a reçu des centaines de signatures, dont celles d’hommes politiques importants. Nous avons profité des moments électoraux pour gagner en visibilité et en influence.
C’est pourquoi nous avons lancé le pacte « La promesse d’un avenir #AvecElles », axé sur quatre piliers : Protection, Prévention, Promotion et Empowerment, aux législatives de 2022. Le pacte #AvecElles a été signé par plus de 60 candidats aux législatives, dont deux ministres actuellement en fonction. Nous revendiquons également #UnAvenirAvecElles, un avenir qui se construit avec les femmes et les hommes. Le think tank n’est pas genré, et nous comptons parmi nos membres des hommes.
Récemment, le magazine ELLE a obtenu une nullité partielle de notre marque. Ça a été un coup dur !
Nous avons entrepris des actions pour sensibiliser, promouvoir et soutenir la cause des droits fondamentaux des personnes. En mars 2023, nous avons organisé une conférence sur le droit des femmes et la laïcité, en accord avec une étude réalisée par le Sénat sur ce thème.
Nous envisageons d’organiser deux conférences annuelles : l’une sur les différentes formes de violences faites aux femmes, avec une opportunité d’aborder l’écoféminisme et les femmes face à l’urgence climatique, des sujets qui m’intéressent particulièrement, et l’autre sur les droits des femmes. Je considère que Simone Veil, Louise Weiss et Françoise Giroud sont des figures particulièrement inspirantes pour notre think tank.
En mars dernier, avec les élections européennes, nous avons décidé de tenir une conférence sur les droits des femmes en Europe : évolutions et perspectives. Nous avons également évoqué le projet « Simone Day » en hommage à Simone Veil.

Humanitelles : L’organisation de la journée européenne le Simone Day ?

Bouchra Sirsalane : Le Simone Day est une journée européenne dédiée à la célébration de l’héritage exceptionnel de Simone Veil. Un événement annuel chaque 17 juillet, date anniversaire : élection de Simone Veil à la présidence du Parlement européen. Cette initiative ambitieuse vise à honorer la mémoire de cette figure emblématique en promouvant la citoyenneté européenne, l’éducation, et l’égalité.
Afin de rendre cet événement accessible à tous, nous proposons de le prolonger du 7 juin au 17 juillet, permettant ainsi aux écoles et aux associations de participer, à l’image du mois de mars devenu le mois des droits des femmes. Notre objectif est d’initier un large public aux enjeux européens et de transmettre des valeurs de citoyenneté. Le Simone Day est conçu comme un projet socio-éducatif axé sur plusieurs objectifs :
– Célébrer l’héritage de Simone Veil en mettant en lumière son rôle déterminant dans la dépénalisation de l’IVG et son engagement européen.
– Promouvoir la citoyenneté européenne en s’inspirant de la vision unifiée de Simone Veil pour l’Europe.
– Éduquer et sensibiliser sur les valeurs citoyennes, les droits humains et la participation démocratique.
– Transmettre les valeurs fondamentales de dignité, d’égalité et de solidarité, chères à Simone Veil, à travers diverses initiatives éducatives et de sensibilisation.

Humanitelles : Votre vision de l’Europe ?

Bouchra Sirsalane : Ma vision de l’Europe est influencée par Simone Veil, qui incarne pour moi la cohérence entre la pensée et l’action, ainsi que le sens de l’engagement. Elle représente une source d’inspiration constante, nous montrant comment s’engager véritablement. Veil a prôné le dialogue entre les peuples et a plaidé en faveur de la création d’une communauté européenne et d’une citoyenneté européenne, des idéaux qui semblent aujourd’hui malheureusement de plus en plus oubliés.
Face à la montée de l’euroscepticisme, il est crucial de comprendre que notre destin est lié et que nous devons apprendre à vivre et à réfléchir ensemble. Il est nécessaire de changer de perspective et de ne pas nous restreindre aux sujets de division, comme l’immigration. À mon sens, l’éducation morale et civique devrait débuter dès la petite enfance. Il est essentiel de transmettre aux générations futures les valeurs de tolérance, de solidarité et de compréhension mutuelle, qui sont les piliers d’une société européenne harmonieuse et prospère.
En somme, pour moi, l’Europe représente des peuples qui se comprennent, qui partagent et qui cohabitent, tout en préservant leurs origines et leurs identités respectives. Ils mutualisent leurs richesses, leurs savoirs et leurs moyens pour faire face aux défis mondiaux tels que le dérèglement climatique, le vieillissement de la population et la préservation de la paix.

Humanitelles : Être féministe en 2024, quels combats privilégier ?

Bouchra Sirsalane : « Femmes Démocrates » aspire à transformer ce monde politique largement dominé par les hommes, parfois entaché de sexisme, bien que ce ne soit pas le cas pour tous, heureusement ! Nous ne pouvons ignorer les nombreux obstacles auxquels nous sommes confrontés : le genre, l’origine ethnique, voire géographique (comme la banlieue ou la ruralité, par exemple). C’est un constat que nous devons affronter avec lucidité.
Cependant, je suis fermement convaincue qu’il est essentiel de transcender le plafond de verre, de contourner les obstacles et de rejeter le discours de la victimisation. Nous devons dépasser les réalités actuelles, surmonter les freins et les peurs.
Les femmes doivent s’affirmer en politique. Elles doivent “se choisir”, et non être simplement choisies. L’engagement politique doit être une démarche personnelle et authentique. Mais pour y parvenir, les femmes ont besoin du soutien mutuel de toutes les femmes, fondé sur la confiance réciproque. C’est ainsi que nous pourrons transformer le monde politique en travaillant avec les hommes, et non contre eux.
Le féminisme doit être universel. À cette fin, nous devons unir nos forces, faire preuve d’une solidarité qui dépasse les clivages et abandonner tout jugement. Je rêve d’un féminisme humaniste, qui place la dignité et le respect de chacun au cœur de son action.
Bien sûr, c’est très compliqué de s’engager quand on est une femme, de trouver le temps. Il y a plein de discriminations mais c’est en agissant ensemble que nous pourrons combattre ces injustices. C’est en activant ce pouvoir de travailler ensemble que nous pourrons réellement faire bouger les choses.

Humanitelles : Des sujets qui vous tiennent à cœur ?

Bouchra Sirsalane : L’éducation à la démocratie et la notion de laïcité me tiennent particulièrement à cœur. La laïcité est souvent mal interprétée, surtout au niveau du collège et du lycée. Il est urgent d’expliquer les principes de la laïcité et de les replacer dans leur contexte historique.
Par ailleurs, nous ne pouvons que déplorer la tendance à l’aliénation des communautés, un mécanisme qui se répète trop souvent. Certains groupes politiques favorisent le communautarisme, au risque d’affaiblir l’universalisme. C’est là un combat majeur qui nous attend.

Humanitelles : Merci de m’avoir accordé cet entretien et pleine réussite dans tous vos projets.