Chercheuse en Lettres et Cinéma, spécialiste de Simone de Beauvoir, Tiphaine Martin a créé le blog VADMC (Voyages Autour De Mon Cerveau) en 2020 soucieuse de son indépendance éditoriale et voulant toucher un public le plus large possible. Il lui paraît en effet essentiel d’éviter l’hyper spécialisation. Et si ses travaux universitaires sont consacrés à l’autrice et philosophe, son blog est riche de plein d’autres sujets : les études de genre, l’écriture de soi, le récit de voyage, la bande dessinée, la littérature jeunesse, l’histoire des arts, les Food Studies, le cinéma, la télévision, la chanson, l’histoire politique. Rencontre avec une chercheuse aux multiples passions.
Humanitelles : Parlez-nous de vous, de votre blog VADMC, de vos centres d’intérêt pour le cinéma, la littérature jeunesse, la BD.
Tiphaine Martin : Née dans l’Yonne, j’ai fait mes études en Lettres classiques à l’université de Bourgogne. Ma maîtrise de Lettres traitait de Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe et La Femme rompue (un recueil de trois nouvelles parues en janvier 1968). J’ai ensuite préparé un Master 2 de Lettres à Paris VII, maintenant Paris Cité, sur Beauvoir et les voyages. J’ai ensuite rédigé une thèse sur le même sujet, toujours à Paris VII. J’ai eu pour directrice de M2 et de thèse la professeure Julia Kristeva, et comme co-tuteur de thèse le professeur Eric Levéel, de l’université de Stellenbosch, en Afrique du Sud. Il est le premier à avoir écrit une thèse sur Beauvoir et les voyages, je suis la deuxième, je lui ai donc demandé s’il voulait bien être mon co-tuteur de thèse, dont acte. Nous sommes toujours en contact et nous échangeons régulièrement sur notre sujet de prédilection, à savoir Beauvoir, mais également sur bien d’autres, dans la bonne humeur.
J’ai créé le carnet de recherches (= blog scientifique) VADMC (Voyages Autour De Mon Cerveau) en mars 2020, au début du premier confinement. L’objectif était d’avoir une visibilité plus large que les colloques universitaires et une indépendance éditoriale, sans avoir à attendre la publication des actes des colloques et des articles dans les revues.
J’espère toucher un public le plus large possible, et pas seulement un public de spécialistes. Il me paraît donc essentiel d’aborder mes sujets de recherche dans un style clair, avec humour si possible, et de traiter de sujets variés afin d’éviter la sécheresse d’une hyper spécialisation. En outre, mes nombreux sujets de recherche (les études de genre, Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, La Femme rompue, l’écriture de soi, le récit de voyage, la bande dessinée, la littérature jeunesse, l’histoire des arts, les Food Studies, le cinéma, la télévision, la chanson, l’histoire politique) fonctionnent en cercle vertueux, en se nourrissant les uns les autres. Le tout formant mes centres d’intérêt depuis longtemps, je fais de la recherche avec plaisir tout le temps.
Humanitelles : Votre sujet de thèse portait sur les voyages effectués par Simone de Beauvoir.
Pourquoi Simone de Beauvoir ?
Que signifiaient les voyages pour Beauvoir ?
Tiphaine Martin : J’ai choisi Simone de Beauvoir parce que c’est mon autrice favorite depuis que j’ai fait sa connaissance grâce au magazine Phosphore à l’été 1999, entre le collège et le lycée. Cet été-là étaient parus un numéro hors-série consacré aux écrivains ayant « secoué » le XXème siècle : Rimbaud, Colette, Kessel, Gide, Fitzgerald, Beauvoir, Malraux, Céline, Orwell, Duras, Vian, Camus, dans cet ordre. Le titre du hors-série est au masculin, mais la coordinatrice du numéro, Béatrice Toulon, avait fait l’effort de mettre trois autrices sur les douze écrivain·es, ce qui était méritoire à cette époque, puisque la presse culturelle jeunesse et adulte ne faisait pas ce type de démarche. Comme toujours dans ces cas-là, j’ai demandé à mes parents ce qu’ils avaient dans leur bibliothèque de ces écrivaines et écrivains, puis j’ai complété avec des emprunts à la bibliothèque municipale. Ma mère m’a prêté Le Deuxième Sexe, qui a été une révélation. J’ai compris que j’étais féministe depuis toujours sans le savoir, et cet essai m’a donné des grilles d’analyse pour approfondir mon quotidien. J’ai ensuite lu l’intégralité de Beauvoir en un an et demi, malgré les difficultés à me procurer La Longue Marche, La Vieillesse et même sa correspondance avec Sartre, qui n’étaient pas rééditées. Quant au reste de son œuvre, il m’a fallu également les commander, il n’allait pas soi d’avoir Beauvoir dans les rayons des librairies. Cette passion pour Beauvoir ne m’a plus quittée, d’où mes travaux universitaires et mes recherches sur elle depuis 2005.
Le goût des voyages me vient de mon enfance, des vacances en France et des séjours en Belgique, Hollande et Suisse avec mes parents. Et des films que mon père me projetait, films Super 8 qu’il avait tournés lors de ses pérégrinations en Chine, à Cuba et au Pérou. Mes lectures m’ont également beaucoup influencée, notamment les livres parus dans la collection « Bibliothèque internationale » chez Nathan. En outre, deux ouvrages à destination de la jeunesse sur la condition des jeunes filles et des femmes m’avaient particulièrement marquée, bien avant la lecture du Deuxième Sexe : le livre de Maryse Wolinski, illustré par son mari Georges Wolinski et dédié à leur fille Elsa, paru en 1982 : Dis maman, y’a pas de dames dans l’Histoire ? sur l’histoire des combats pour les droits des femmes ; et celui de Jacqueline Cervon, paru en 1972, Djinn la malice. C’est l’histoire d’une petite fille iranienne de 10 ans, Leïla, dont le père déménage de Kachan à Chiraz, sans consulter son épouse ni lui demander son avis. Il y est l’employé d’un potier, Karim, qu’il force Leïla à épouser. Karim est un homme adipeux, beaucoup plus âgé qu’elle et violent. Ce livre raconte sa libération. Elle gagne le droit de ne plus porter le voile et d’aller à l’école. Leïla entraîne sa mère dans son sillage, puisque celle-ci prend également le chemin de l’école.Leïla rencontre un adolescent de son âge, Morad, qui l’aide à rompre ce mariage arrangé. Mais, au final, c’est Leïla qui, utilisant son intelligence et sa malice, rompt le mariage.
La signification des voyages pour Beauvoir dépend des époques. Ils représentent d’abord une libération spatiale.
Une libération spatiale qui date de l’enfance et de l’adolescence, pendant les étés que Simone et sa sœur Henriette (elle prendra son deuxième prénom d’Hélène quand elle deviendra peintre) passent dans les propriétés de leur oncle et de leur grand-père paternel dans le Limousin, où elles ont toute liberté d’aller et venir à leur guise. Il y a ici un côté Comtesse de Ségur, vif et libre, donc non genré.
Une libération spatiale à la fin de l’adolescence dans Paris, au sein des Équipes sociales de Belleville, où le catholique social Robert Garric prône l’importance de la fraternisation. Il organise des cours du soir pour les ouvrières et les ouvriers du Xème arrondissement et Beauvoir fait partie des enseignantes en 1926-1927. Cette expérience lui permet de sortir de son quartier de Montparnasse et du cocon familial.
Quand elle a 17 ans, son cousin maternel Jacques Champigneulle l’entraîne dans les cafés, qui sont alors des endroits très animés, où il la fait boire. Quelles sont ses motivations ? Est-ce par pitié pour sa cousine dont il connaît le quotidien morose, inconscience, tout cela, autre ?
Cette attitude est loin d’être anodine à l’époque, puisque seules les femmes de mauvaise vie et les femmes mariées y ont droit de cité. Beauvoir y retourne seule ou avec sa sœur, se faisant passer pour une prostituée, car elle considère que ce sont des femmes libérées, tout en reconnaissant plus tard que ce fut une expérience de l’ordre du fantasme, où elle n’a rien vu de la dure condition des prostituées. Est-ce pour cette raison qu’elle consacrera tout un chapitre du Deuxième Sexe aux prostituées ?
Une libération spatiale quand elle part en randonnée dans la région de Marseille où elle a été nommée professeure, à l’automne 1931. Elle fait des randonnées de 40 à 50 km le jeudi (alors jour de congé des élèves et des enseignant·es) dans les calanques et sur les monts provençaux. Elle n’a rien d’autre à faire et Sartre lui manque physiquement. Sexualité et voyage sont intimement liés chez Beauvoir.
Une libération spatiale à l’étranger, en Espagne, à l’été 1931, au moment de la Seconde République espagnole, sur l’invitation d’un de ses amis, le peintre espagnol Fernando Gerassi, mari d’une amie polonaise (qui serait aujourd’hui ukrainienne) de Beauvoir, Stépha. Beauvoir découvre enfin un autre pays. Elle qui a appris l’italien découvre une nouvelle culture avec la barrière de la langue. Elle est éblouie. Elle avoue avoir vu tout ceci de façon superficielle, ne pas s’être intéressée à la situation politique. Elle établit le parallèle entre sa position et celle de Fabrice Del Dongo dans La Chartreuse de Parme, quand il traverse la bataille de Waterloo sans se rendre compte de rien.
Une libération spatiale au début de l’Occupation à Paris, où pendant l’Exode, elle se réfugie chez une amie du côté d’Angers. L’Exode terminée, elle rentre à Paris dans un camion avec des soldats allemands. Elle l’explicite clairement dans ses mémoires, sans se donner d’excuses ni se flageller. Sartre est prisonnier pendant un temps au Stalag XII D. Libéré début 41, il souhaite alors créer un groupe de résistants. C’est pourquoi Beauvoir et Sartre franchissent la ligne de démarcation pour aller rencontrer Malraux et Gide, qui étaient dans le Sud, mais un échec. Sartre a réussi à fédérer un petit groupe de résistants à Paris. Ce groupe s’est arrêté assez rapidement, car ne prenant pas assez de précautions. Certains ont continué la lutte au sein d’autres groupes de résistance, d’autres ont arrêté le combat. Pendant l’Occupation, Beauvoir fait quelques voyages en Ile-de-France pour trouver du ravitaillement. Elle se sent en France comme dans une prison, allusion à ses voyages d’avant-guerre à l’étranger (Italie, Grèce, Allemagne, Angleterre, Maroc français et espagnol). S’installe dès cette époque un sentiment anticolonial chez Beauvoir.
Après la Libération, elle effectue des voyages en France et à l’étranger pour le plaisir. Ainsi, aux États-Unis en 47, elle rencontre son confrère Nelson Algren, avec lequel elle noue une passion qui dure plusieurs années, dont témoigne une abondante correspondance. Il y a aussi les grands voyages politiques : Cuba, la Chine, l’URSS, l’Égypte – elle louera le féminisme de Nasser – Israël, juste avant la guerre des Six Jours. Dans la Bande de Gaza, elle rencontre les dirigeants du Hamas de l’époque, dont elle ne garde pas un bon souvenir. Elle trouve que les repas qu’on leur sert sont trop abondants en comparaison de la pauvreté ambiante, sans compter les acclamations forcées. En Israël, elle visite les kibboutzim. Lors de ce voyage, elle est accompagnée de Sartre et de Claude Lanzmann, son compagnon de l’époque. Une anecdote amusante : en relatant sa rencontre avec Beauvoir, Lanzmann se dit fasciné par « la pureté (…) de ses narines » (Le Lièvre de Patagonie, Paris, Gallimard, 2008, p. 215). C’est le seul homme avec qui Beauvoir a vécu au jour le jour pendant leurs sept ans de liaison.
Elle voyage quasiment jusqu’à la fin de sa vie et lors de son entrée à l’hôpital en avril 1986, elle était censée partir en Autriche avec sa fille adoptive Sylvie Le Bon.
Humanitelles : Pensez-vous que Beauvoir ait encore une grande influence sur les féministes aujourd’hui ?
Tiphaine Martin : Je ne sais pas. Je trouve difficile de mesurer son impact aujourd’hui parce que les féministes nord-américaines occupent beaucoup le devant de la scène. Je constate que les plus jeunes féministes ne se réfèrent pas à Beauvoir, mais à Judith Butler et consort. Il existe un effet de mode, par exemple la demande de panthéonisation de Gisèle Halimi se fait en partie au détriment de Simone de Beauvoir dont on a oublié les combats politiques. Il reste qu’Halimi a toute sa place au Panthéon, ce qui serait enfin l’occasion pour le chef de l’Etat de demander officiellement pardon aux Algérien·nes, Marocain·nes et Tunisien·nes pour les atrocités commises pendant la colonisation et les guerres d’indépendance. Et, par conséquent, il pourrait enchaîner en demandant pardon aux Vietnamien·nes pour les atrocités commises pendant la colonisation et la guerre d’Indochine.
Selon moi, Beauvoir est minorée pour cause d’universalisme blanc, français et bourgeois. Et pourtant, heureusement que les militantes féministes bourgeoises blanches françaises furent, étaient et sont là, plutôt que de s’occuper à courir les magasins tout en levant le petit doigt au-dessus de leur tasse de thé…
Au niveau universitaire, il y a un regain d’intérêt pour Beauvoir et ce, depuis la parution de ses mémoires en Pléiade en juin 2018. En France, il existe le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, aux USA la Simone de Beauvoir Society et les Simone de Beauvoir Studies.
Une question : où sont les féministes et les féminismes sud-américains, kenyans, lituaniens, guinéens, bulgares, camerounais, etc., dans le monde de l’édition ? Ne pourrions-nous faire sortir ces mouvements des niches militantes ? J’estime qu’on a assez de moyens pour faire des écrits (essais, romans, bandes dessinées, poésie, mangas, théâtre, etc.) des féministes étrangères un succès, grâce aux réseaux sociaux, aux chroniques littéraires, aux podcasts, aux émissions de radio et télévision habituelles, sans oublier le travail normal des attaché·es de presse, etc.
Humanitelles : L’intersectionnalité et Beauvoir ?
Tiphaine Martin : Beauvoir est intersectionnelle, même si le terme n’existait pas en tant que tel à son époque, puisque ses ouvrages sont orientés en fonction de la classe sociale, du sexe et de la race. Par exemple, dans l’introduction du Deuxième Sexe, elle compare la situation des femmes françaises à celles des femmes africaines colonisées et à celle des juifs. Dans la partie « Histoire », elle fait la différence, par exemple entre les châtelaines du Moyen Âge, les paysannes et les commerçantes. Après la parution du Deuxième Sexe, elle reçoit une importante correspondance de femmes de tous les pays et de toute condition, qui témoignent de l’impact que cet ouvrage a dans leur existence. Un excellent essai est sorti à ce sujet, en traduction française, en 2023 : Judy Coffin, Sexe, amour et féminisme.
Humanitelles : Quel est votre avis sur les relations que Beauvoir entretenait avec les femmes, sa mère et sa sœur entre autres, et les hommes ?
Tiphaine Martin : Le rapport qu’elle entretient avec les femmes est complexe. Cela vient probablement de la relation âpre avec sa mère, peu étudié et peu étudié de manière objective. Cependant, Une mort très douce parle de sa prise de distance avec cette relation. Sa mère a été malgré tout fière que sa fille soit célèbre. Beauvoir a entretenu également un rapport compliqué avec sa sœur, dont le vrai prénom est Henriette, d’où le surnom de Poupette, Hélène étant son nom de peintre. Simone de Beauvoir était jalouse de la réussite existentielle de sa sœur. Rapports complexes aussi avec les compagnes et maîtresses de Sartre, qui, contrairement à ce que l’on a pu dire ou écrire, n’étaient pas en surnombre.
A propos de Beauvoir et Sartre, on peut certes parler d’abus de pouvoir de la part de professeur.e.s et de personnes célèbres, ce qui est déjà énorme et condamnable, mais elle et il n’étaient en aucun cas l’équivalent de Madame de Merteuil, Valmont, Dr No et Dark Vador réunis, comme l’ont écrit et écrivent encore certains médias, dont les fantasmes et l’hypocrisie sont intéressantes à étudier, mais pénibles car sans nuance et éloignant les lecteurs et lectrices d’auteur·trice important·es, qui ont soutenu beaucoup de monde de manière anonyme et qui en ont écouté un grand nombre d’autre. Ces mêmes médias faisant grand cas de Victor Hugo et d’André Gide, par exemple, deux auteurs n’ayant eu pourtant un comportement irréprochable vis-à-vis des mineur·es… sans oublier Rimbaud et son trafic d’armes, Céline et ses articles antisémites, etc.
Au sujet des relations avec les hommes, Élisabeth Badinter a dit que « Beauvoir n’était pas contre les hommes mais tout contre ». Nous sommes loin de la féministe hystérique fustigée et caricaturée aussi bien par la gauche que par la droite. Elle a remis en question le monde patriarcal dans toute son œuvre, mais l’a fait sans acrimonie. Elle n’a jamais remis en question ses références masculines littéraires et musicale, décrivant de manière objective le monde masculin dans lequel elle a été élevée et où elle vit. Elle a vécu des passions amoureuses avec des hommes – et des femmes.
Humanitelles : Qualifieriez-vous l’engagement politique de Beauvoir de tardif ?
Tiphaine Martin : Oui, ce qu’elle décrit honnêtement dans ses mémoires. Cet engagement tardif est dû à l’apolitisme de droite de son père, admirateur de Maurras et autres, et à l’apolitisme de sa mère, qui ne revendiquait aucun droit politique ni ne s’intéressait à la politique, donc à son éducation. Sa révolte adolescente est une révolte individuelle et individualiste. Le collectif est venu à partir de l’Occupation, la politisation et les engagements à partir de 1945. Elle s’est beaucoup engagée dans la décolonisation du continent africain et de l’Indochine, elle y consacre une part importante du tome trois de ses mémoires, La Force des choses. On la traite d’« antifrançaise », elle dit « Je le devins ». Par exemple, elle signe le Manifeste des 121 pour le droit à l’insoumission en Algérie. Elle a été menacée par l’OAS. Le journaliste Serge July et le médecin Bernard Kouchner ont campé dans l’escalier de Beauvoir pour la protéger, d’après ce qu’écrivent Hervé Hamon et Patrick Rotman, dans Génération. 1, (Paris, Seuil, 2008, p. 127, 98)
Humanitelles : Quel livre conseilleriez-vous pour aborder son œuvre ?
Tiphaine Martin : Les Mémoires d’une jeune fille rangée. Elle reprend ses analyses du Deuxième Sexe sur la condition féminine et les applique à son propre cas. Elle l’a d’ailleurs fait, après, dans tous ses ouvrages. Et c’est une belle histoire de libération, d’amitié(s) et d’amour(s).
Humanitelles : Un bref résumé du Deuxième Sexe
Tiphaine Martin : C’est un essai sur la condition féminine, de la Préhistoire à 1948 (l’ouvrage a été publié en 1949). Il est divisé en deux tomes : « Les faits et les mythes » et « L’expérience vécue ». Le premier tome examine l’histoire des femmes, leur biologie, le point de vue des psychanalystes et celui des marxistes sur les femmes. Beauvoir clôt ce tome par une partie sur les mythes masculins sur les femmes, mythes qui enferment les femmes, ce qu’on appelle aujourd’hui les injonctions. Le tome deux est entièrement consacré à l’existence féminine, bourgeoise et petite-bourgeoise, de l’enfance à la vieillesse, avec un détour par la condition des homosexuelles et celle des prostituées. Beauvoir conclut par un chapitre sur la nécessaire prise d’indépendance des femmes, que ce soit par des vêtements confortables qui n’entravent pas les mouvements – sans pour autant ressembler aux tristes uniformes soviétiques ou maoïstes -, par une éducation non genrée, donc par le droit à la pratique sportive, par exemple, et par le droit à la contraception, et par le droit à l’avortement.
Humanitelles : Quelle est la place tenue par Zaza dans la vie de Beauvoir ?
Tiphaine Martin : Zaza, Elisabeth Lacoin de son vrai nom, est une figure très importante dans l’existence et l’œuvre de Beauvoir. Dans la vie de Beauvoir, c’est le premier amour, amour qui est non réciproque. Dans l’œuvre de Beauvoir, Zaza représente une figure de liberté féminine qui se transforme en un personnage sacrificiel.
Ainsi, Zaza est à la fois :
– une figure féminine libre sacrifiée par la bourgeoisie française sur l’autel de la convenance, d’après Beauvoir ;
– une inspiratrice pour les voyages. Son premier voyage en Espagne aurait dû être un voyage en Italie avec Zaza ;
– une figure sacrificielle de la liberté de Simone de Beauvoir par rapport à son milieu et à sa condition de femme.
Zaza est devenue au fil du temps un personnage de l’œuvre beauvoirienne plus qu’une personne. D’où mon envie de redécouvrir une réalité de Zaza au travers de mes expositions Elisabeth Lacoin. Les traces vivantes du Chatfoin (2022) et Voyager dans le sud de la France avec Élisabeth Lacoin, amie de Simone de Beauvoir (2024, en préparation). En outre, je continue à travailler sur les archives de Zaza avec le concours bienveillant de sa famille.
Liens vers VADMC
Site : Voyages autour de mon cerveau
Un article sur Beauvoir : « Gêne première, accord parfait : L’Entrave, Les Mandarins« , février 2024. URL : https://vadmc.hypotheses.org/14560
Un article sur la BD : « Toutes des Castafiore ? Violences féminines graphiques », octobre 2023. URL : https://vadmc.hypotheses.org/12509
Un article sur le cinéma : « Partir, revenir, pourquoi ? (6) Rester : Past Lives« , janvier 2024. URL : https://vadmc.hypotheses.org/14230
Première exposition sur Zaza : « Élisabeth Lacoin. Les traces vivantes du Chatfoin. Introduction et plan de l’exposition », mars 2022 URL : https://vadmc.hypotheses.org/?p=3873
Bonne exploration !
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