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« Les femmes sont partout sur les cimaises du Palais des Beaux-Arts de Lille comme muses, modèles ou allégories, mais elles sont rares en tant que créatrices : sur les 60 000 œuvres conservées seulement 135 ont été produites par des femmes. Ce constat édifiant a été le point de départ d’une enquête visant à identifier les raisons de cette absence. N’y aurait-il pas de grandes artistes femmes, pour reprendre la question provocatrice posée par l’historienne de l’art Linda Nochlin dès 1971 ? Comment ces œuvres – pour la plupart jamais montrées auparavant – ont-elles rejoint les collections, preuves d’une indéniable reconnaissance institutionnelle ?
Des zones d’ombre subsistent sur certaines artistes, en partie en raison du manque de sources documentaires mais aussi parfois du fait de leur propre discrétion, et enfin parce que souvent personne ne s’est chargé de transmettre leurs œuvres à la postérité. Il est toutefois apparu que nombre de ces créatrices étaient reconnues de leur vivant, que leur travail a été exposé et acheté, mais que celui-ci a souvent été minoré voire effacé a posteriori.
Ce projet trouve son origine et son périmètre das la collection du musée. Il ne s’agit pas d’un choix des commissaires puisque les œuvres sont déjà là. La sélection n’a pas été effectué selon des critères esthétiques ou historiques, mais selon le critère sociologique unique du genre de l’artiste. Il en résulte un ensemble hétérogène d’œuvres issues de périodes, de mediums et de styles variés. Cet accrochage propose une analyse des facteurs contribuant à l’exclusion des artistes femmes de l’histoire de l’art sous forme de chapitres correspondant aux trois temps de la pratique artistique ». Source : Palais des Beaux-Arts de Lille
Chapitre 1 : Les femmes dans l’atelier : comment devient-on une artiste ?
« À partir du 17e siècle, deux systèmes de formation artistique coexistent en France : d’une part, l’Académie royale de peinture et de sculpture, créée en 1648, qui compte quelques académiciennes admises au terme d’une carrière déjà bien lancée ; d’autre part, un système de corporations organisées en ateliers où les maîtres travaillent avec des apprentis et membres de leur famille. La parentèle demeure jusqu’au 19e siècle un élément décisif pour les femmes, qui se forment souvent dans le cercle familial. L’importance de l’entourage est telle qu’il est parfois difficile pour ces artistes, comme Jacqueline Cornerre-Paton, Camille Claudel et Sonia Delaunay, de sortir de l’ombre de leurs proches masculins. Face aux difficultés d’accès à la formation, se créent des ateliers réservés aux femmes. Elisabetta Sirani en ouvre un dès 1660, mais ce phénomène se développe surtout à partir de la fin du 18 siècle.
Adèle Romany se forme dans la section féminine de l’atelier de Jean-Baptiste Regnault, tandis que Marie-Amélie Cogniet supervise un atelier « pour dames » en pendant à celui de son frère. À partir de la seconde moitié du siècle, des académies privées se multiplient à Paris et deviennent une alternative de qualité à l’enseignement officiel. En offrant parfois la possibilité aux élèves des deux sexes de travailler d’après le modèle nu, elles attirent de nombreuses artistes femmes.
À Lille, la présence d’étudiantes aux écoles académiques (qui deviennent école des beaux-arts en 1897) est attestée à partir de 1883. Dans la dernière décennie du siècle, on trouve parmi ces premières générations d’élèves féminines les sœurs Jeanne et Marguerite Dubuisson, ainsi que Jane-Agnès Chauleur-Ozeel qui étudie dans l’atelier de Pharaon de Winter. Leur présence précède l’ouverture de l’École nationale des beaux-arts aux femmes, obtenue en 1897 notamment grâce au combat de la sculptrice Hélène Bertaux, fondatrice de l’Union des femmes peintres et sculpteurs ». Source : Palais des Beaux-Arts de Lille
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Chapitre 2 : Hiérarchie des genres, Hiérarchie de genre
« Un peintre veut-il instruire sa fille dans son art, il n’aura jamais le projet d’en faire un peintre d’histoire : il lui répétera bien qu’elle ne doit prétendre qu’au genre du portrait, de la miniature ou des fleurs. Elle ne peindra que des roses : elle était née peut-être pour peindre les héros ». Félicité de Genlis, 1796
Théorisée en France au 17e siècle, la hiérarchie des genres classe les sujets artistiques du plus noble – les scènes d’histoire – au moins prestigieux, la nature morte. Elle reproduit dans la sphère artistique la hiérarchie de genre qui sous-tend les rapports sociaux entre les hommes et les femmes. La production de celles-ci se trouve ainsi cantonnée aux genres les moins nobles, certaines peintres de natures mortes menant dès cette période une carrière remarquable, comme Rachel Ruysch.
Le nombre croissant d’artistes professionnelles incite les théoriciens du 19e siècle à recourir à des critères bio-déterministes pour limiter leurs productions aux genres considérés comme mineurs. Selon eux, les qualités perçues comme naturellement féminines (telles que la grâce, la délicatesse ou la minutie) les conditionnent à créer des objets de petite taille à valeur décorative ou sentimentale : fleurs, éventails, miniatures, estampes, médailles…
Pour autant, ces limitations ne sont pas une fatalité. Certaines femmes excellent dans le domaine auquel elles sont reléguées – en témoigne la qualité des fleurs d’Elisabetta Marchioni ou des gravures de Rose Maireau. D’autres s’orientent vers des médiums traditionnellement perçus comme masculins, telle Marguerite Cousinet qui revendique son statut de sculptrice en se représentant en blouse de travail.
L’émergence des avant-gardes du 20e siècle permet aux artistes femmes d’investir de nouveaux champs tout en détournant les codes établis, Ainsi Geneviève Asse fait évoluer ses natures mortes vers les monochromes bleus qui ont tait sa renommée, puisant dans la traditionnelle hiérarchie de(s) genre(s) pour mieux la transcender ». Source : Palais des Beaux-Arts de Lille
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Chapitre 3 : Se faire un nom : réseaux et stratégie de diffusion
« Comme le souligne Linda Nochlin dans son essai de 1971 « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? », l’histoire de l’art a été écrite à l’aune du canon monolithique de l’artiste (mâle) et de son génie isolé. Cette conception sous-estime l’importance des échanges et des réseaux, dont l’analyse est essentielle pour appréhender l’histoire des artistes femmes.
A partir du 19e siècle, les sociétés d’artistes se multiplient et offrent aux femmes, lorsqu’elles y sont admises, une visibilité précieuse. Certaines artistes s’impliquent dans des groupes mixtes, comme le cercle belge Vie et Lumière, l’Atelier de la Monnaie à Lille ou encore le groupe de Gravelines. D’autres prennent part des associations non-mixtes comme l’Union des femmes peintres et sculpteurs (UFPS), première organisation française d’artistes femmes fondée en 1881. Présidée par Virginie Demont-Breton de 1894 à 1901, elle promeut l’accès des femmes à l’École nationale des beaux-arts et organise un Salon annuel, tout comme la Société des Femmes artistes modernes (FAM) créée en 1931.
Jusqu’au 20e siècle, les Salons – officiels ou alternatifs – constituent une première étape dans la diffusion du travail des artistes. Certaines y exposent sous un pseudonyme masculin, comme Jacques-Marie ou Charles-Paul Séailles. Des œuvres y sont acquises par l’État ou par des collectionneurs, comme Alphonse et Charlotte de Rothschild qui ont donné plusieurs œuvres d’artistes femmes au musée de Lille à l’aube du 20e siècle.
Cet accrochage fait également émerger un tissu de galeristes femmes ayant soutenu des artistes dès le milieu du 20e siècle : Jeanne Bucher, Denise René, Josée Courrier… Ces liens professionnels se doublent d’amitiés électives, notamment entre des artistes expatriées comme Maria Helena Vieira da Silva, María Blanchard et Angelina Beloff. Étudier les réseaux de ces créatrices met en lumière la complexité des écosystèmes artistiques et participe d’une écriture polyphonique de l’histoire de l’art. » Source : Palais des Beaux-Arts de Lille
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Regards d’homme / Images de femmes
« En prolongement de l’exposition Où sont les femmes ?, un parcours dans les salles permanentes vous invite à porter un regard attentif sur la représentation des figures féminines à travers les collections du Palais des Beaux-Arts.
Tour à tour Vénus, mère, sorcière, muse, sainte ou prostituée…, la figure féminine (souvent dénudée) incarne des rôles multiples et constitue une inépuisable source d’inspiration pour les artistes (hommes) qui ont longtemps imposé leur canon esthétique. Les œuvres ayant été produites majoritairement par et pour des hommes, les femmes se trouvent souvent dépossédées de leurs représentations. Ces images codifiées et fantasmées contribuent à véhiculer une vision stéréotypée de la femme, qui persiste jusqu’à aujourd’hui. » Source : Palais des Beaux-Arts de Lille
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En savoir plus
« Où sont les femmes ? » : le Palais des beaux-arts de Lille sort de ses réserves
Sonya Faure
Libération, 19 février 2024 (Abonné.e.s)
Les femmes artistes sont (enfin) à l’honneur dans cette exposition lilloise
Jordan Bako
Vogue, 8 février 2024
Audio – Histoire de l’art : comment les femmes en ont été gommées
L’Info culturelle : reportages, enquêtes, analyses, France culture, 28 décembre 2023, 2′
Artistes retrouvées
Isabelle Manca-Kunert
Le Journal des arts.fr, 20 décembre 2023 (Abonné.e.s)
« Où sont les femmes ? » : aux Palais des Beaux-Arts de Lille, l’exposition qui rend justice à des artistes ignorées
L’Humanité, 18 décembre 2023
Au palais des Beaux-Arts de Lille, enquête sur des artistes femmes invisibilisées
Sophie Rahal
Télérama, 17 décembre 2023 (Abonné.e.s)
Les musées exhument-ils enfin les femmes de leurs réserves ?
Joséphine Bindé
Beaux-Arts, 17 novembre 2023
Les femmes sortent des réserves du musée de Lille
Benoit Gaboriaud
La Gazette Drouot, 14 novembre 2023
Où sont les femmes ? : l’expo qui rend enfin visible les artistes féminines au Palais des Beaux-Arts de Lille
France info, 21 octobre 2023
Où sont les femmes ? Le palais des Beaux-Arts de Lille mène l’enquête
La Voix du Nord, 19 octobre 2023 (Abonné.e.s)
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