
Jina Mahsa Amini, une jeune femme kurde de 22 ans, décédait le 16 septembre 2022 après avoir été arrêtée à Téhéran par la police des mœurs. Sa mort a déclenché un mouvement inédit en Iran au sein duquel les femmes ont été les actrices principales et les pionnières. En dépit de la répression sanglante, le mouvement a duré jusqu’en avril 2023. « Femme, Vie, Liberté » dit clairement la volonté des Iraniennes et des Iraniens de s’affranchir de la tutelle de la religion politique et de conquérir leurs droits fondamentaux. Cet article propose une analyse de cette insurrection.
- Les faits
- Qui est Mahsa Amini ?
- Arrestation et cause(s) de son décès
- Le délit de mauvais hijab
- Le port du voile obligatoire
- Sondages sur le hijab obligatoire et le régime
- Les femmes : des résistantes de longue date
- Femme, Vie, Liberté
- Et maintenant ?
Les photos ont été prises lors de l’exposition « Donner à voir leur voix : les femmes iraniennes s’affichent« au Centre Pompidou qui a montré les 100 posters sur ses coursives en mars-avril 2023. Elles sont libres de droit.

Les faits
Le détonateur de la colère : le décès de Jina Mahsa Amini
Mahsa Amini, une étudiante de 22 ans, originaire du Kurdistan iranien, est arrêtée par la police des mœurs le 13 septembre 2022 pour « port de vêtements inappropriés ». Trois jours plus tard, elle meurt d’une hémorragie intracérébrale provoquée par des violences policières, version que le régime réfute. Il annonce vouloir résoudre l’affaire en diligentant une enquête.
Le déchaînement de la contestation
L’annonce du décès de Mahsa Amini est le point de départ de manifestations qui, en moins d’une semaine, prennent une ampleur nationale. Son enterrement, le 17 septembre à Saqqez, donne lieu à un rassemblement. Pendant plusieurs mois, les Iraniennes et les Iraniens s’insurgent contre la République des mollahs aux cris de « Femme ! Vie ! Liberté ! » et « Mort au dictateur », et ce, malgré une répression impitoyable.
La contestation du régime
Le slogan « Femme ! Vie ! Liberté ! » dénonce un régime d’apartheid sexuel. La revendication de la population est sans appel. Elle exige la fin de la République islamique. Les femmes, en première ligne de l’insurrection, s’opposent à ce régime en ôtant leur voile, dont il est le symbole depuis l’origine. Le mouvement va bien au-delà d’une simple revendication contre le voile obligatoire. L’Iran affronte une crise économique, sociale et environnementale sans précédent. Par ailleurs, ce mouvement traverse toutes les couches de la société.
La police des mœurs
Le procureur général Mohammad Jafar Montazeri annonce l’abolition de la police des mœurs le 3 décembre 2022. Annonce rapidement démentie par la télévision d’État affirmant que ce pouvoir appartient au ministre de l’intérieur et non au procureur général.
La surveillance totale
La police, le 8 avril 2023, révèle l’installation de caméras de vidéosurveillance, dans les lieux publics et sur les axes de circulation, pour localiser les femmes non voilées. En septembre 2023, le Parlement approuve un projet de loi durcissant les sanctions contre les femmes qui ne portent pas le voile dans les lieux publics. « Pour les punir d’oser défier les lois sur le port obligatoire du voile, des dizaines de milliers de femmes se font confisquer leur voiture de manière arbitraire ».
La répression
Hormis réprimer dans le sang les manifestations, le régime procède à des exécutions, pour instiller la peur au sein du mouvement de contestation, en procédant à des simulacres de procès accélérés et en condamnant à mort des personnes ayant participé aux manifestations. (307 exécutions depuis le début de l’année, dont 142 rien qu’au mois de mai). Il a également recours au viol et aux violences sexuelles pour torturer, intimider et punir les manifestant·es. Le régime restreint l’accès à internet pour mieux enrayer les manifestations, étouffe les mouvements étudiants, arrête toutes les personnes critiques du pouvoir et diffuse de fausses informations sur les manifestant.e.s afin de les diaboliser.
Les écolières empoisonnées
Fin novembre 2022, des écolières sont empoisonnées et hospitalisées. Ces attaques au gaz dans les établissements scolaires pour filles se propagent dans 25 provinces. Afin de discréditer les attaques, le régime masque les informations et distord les faits.
Une résistance qui persiste
La résistance se manifeste désormais dans la vie quotidienne, notamment chez ces femmes qui sortent dans la rue sans foulard malgré les intimidations et les amendes que le régime applique pour les dissuader.

Qui est Mahsa Amini ?
Mahsa Amini est née le 20 septembre 1999 à Saqqez dans le Kurdistan iranien. Son véritable prénom est Jina, c’est ainsi que l’appellent ses parents à sa naissance. Mais ils se heurtent au refus de l’état civil iranien au Kurdistan d’enregistrer des prénoms kurdes. Depuis la révolution islamique de 1979, le gouvernement iranien force les familles à adopter des noms « approuvés » pour leurs nouveau-nés, leur interdisant l’usage de prénoms propres à leur minorité d’appartenance. Les familles adoptent ainsi des prénoms perses pour les usages et documents officiels, mais utilisent, à la maison ou entre proches, le prénom kurde 1. Refus représentatif d’une politique beaucoup plus large, et d’ailleurs pas spécifique à la théocratie iranienne « puisque, déjà sous le shah, l’état central et la monarchie avaient une politique très hostile au nationalisme kurde. » explique l’anthropologue Chowra Makaremi 2.

Au moment de son arrestation, Jina Mahsa Amini est en vacances à Téhéran avec sa famille. Elle se prépare à suivre des études universitaires dans la province de l’Azerbaïdjan occidental. C’est une étudiante comme tant d’autres, ni militante ni particulièrement politisée. « Mahsa c’était une fille qui avait des rêves d’avenir. Elle aspirait à travailler. C’est une jeune fille pleine de vie et on le voit – ses parents ont pu par l’intermédiaire de réseaux sociaux, nous montrer des clichés d’elle – extrêmement vivante, qui dansait, qui chantait, qui avait grand plaisir à se maquiller. En réalité, elle était représentative de cette jeunesse iranienne parfaitement connectée sur les réseaux sociaux, et qui contraste avec l’image que l’on a de cette gérontocratie, de ces ayatollahs, de ces miliciens qui alimentent le culte du martyr, le culte de la violence. Jina Mahsa, c’était la jeunesse qui avait envie de vivre » 3.
Arrestation et cause(s) de son décès
Ce mardi 13 septembre, elle découvre la capitale pour la première fois, avec son frère et son cousin. En fin d’après-midi, elle se promène aux abords de la station de métro Shahid Haghani, quand plusieurs membres de la police des mœurs se dirigent vers elle. « C’est une fille qui, à un moment donné, a eu le malheur de se promener dans la rue de la capitale iranienne et de voir son voile tomber parce qu’il y avait eu un coup de vent tout simplement, et c’est pour ce voile de trop qui tombe qu’elle a été assassiné par la police des mœurs » 4.
Une jeune femme qui « avait grand plaisir à se maquiller », Jina Mahsa Amini est donc une jeune femme coquette. La coquetterie est une marque de résistance. Les faits se passent en septembre, une saison où il fait encore très chaud à Téhéran et durant laquelle les codes vestimentaires imposés par les mollahs sont moins respectés qu’à l’accoutumé. Rappelons que « les interdits fondamentaux sont :
le pantalon court ;
le nu-pied, sans chaussettes ;
le manteau court (au-dessus du genou), avec fente, à manches courtes ou relevées, avec col ouvert et moulant ;
la tenue moulante ;
la fine écharpe au lieu du foulard ou de la cagoule ;
le maquillage du visage et des mains. » explicite le chercheur Ali Jafari, 5.

An Iranian woman in Isfahan, 2018, 27 April 2018, Own work, TruedynamicPhoto
Non seulement Jina Mahsa Amini enfreint la loi pour port incorrect du foulard (bad hedjâbi), mais elle est d’origine kurde. Elle subit la double peine. Chowra Makaremi estime que « Cette violence a été extrême sur une jeune femme kurde qui n’était pas téhéranaise, qui n’avait pas le code pour circuler dans cette grande ville, qui n’avait pas ce que j’appelle les techniques du corps. C’est-à-dire que sa façon de marcher, sa façon d’être dans le métro de Téhéran signalaient une touriste, « une étrangère dans cette ville » comme dit son frère. […] Son corps est un point de croisement entre différentes formes de violence » dû au fait d’être femme et kurde » 6. Une analyse relayée par Émile Bouvier qui explique que les violences dont elle a fait l’objet par la police des mœurs iranienne s’expliquent, en grande partie, par sa kurdicité 7.
La police locale affirme que l’arrestation de Mahsa Amini devait servir à dispenser des « instructions » dans le but de lutter contre le non-respect du code vestimentaire islamique. La jeune femme, « ainsi qu’un certain nombre de personnes, ont été conduites vers l’un des quartiers généraux de la police », mais « elle s’est soudainement évanouie alors qu’elle était avec d’autres personnes dans une salle de réunion », a détaillé la police.
Conduite à l’hôpital au plus vite, « elle est morte et son corps a été transféré à l’institut médico-légal », annonce le vendredi la télévision d’État. Dans un communiqué, la police de Téhéran confirme le décès de Mahsa Amini. « Il n’y a eu aucune négligence de notre part. Nous avons mené des enquêtes (…) Et toutes les preuves montrent qu’il n’y a pas eu de négligence, ou de comportement inapproprié de la part des policiers », a assuré le général Hosseim Rahimi, chef de la police de la capitale iranienne. Pour conforter la version de la police, la télévision d’État diffuse des extraits d’une vidéo sur laquelle on voit une femme, présentée comme Mahsa Amini, se lever pour discuter avec une « instructrice » au sujet de sa tenue vestimentaire, puis s’effondrer 8.
Une version contredite par Amnesty International : « Selon des témoins, la police l’a poussée dans un fourgon et l’a frappée, puis l’a conduite au centre de détention de Vozara, à Téhéran. Mahsa Zhina Amini et son frère ont été informés qu’elle était transférée à Vozara pour y recevoir un « enseignement » visant à « réformer » le comportement des femmes et des filles qui violent le code vestimentaire islamique très strict. Son frère a également été frappé lorsqu’il a protesté.
Quelques heures après son arrestation, selon des informations crédibles, la « police des mœurs » l’a soumise à des actes de torture et des mauvais traitements dans le fourgon de police, et lui a notamment asséné des coups à la tête. Mahsa Zhina Amini est alors tombée dans le coma et elle a été transportée en ambulance à l’hôpital de Kasra, à Téhéran.
Elle est morte en garde à vue à l’hôpital trois jours plus tard, le 16 septembre 2022 » 9.
Pour Chirine Ardakani, fondatrice de l’association Iran Justice qui plaide pour la reconnaissance internationale et la criminalisation de l’apartheid de genre, ce qui s’est passé est encore obscur aujourd’hui, puisqu’il y a deux versions qui s’affrontent 10. En effet, Amjad Amini, le père de la victime, affirme à l’agence de presse Fars le lundi 19 septembre que la « vidéo a été coupée » et que sa fille a « été transférée tardivement à l’hôpital ». En outre, il déclare que sa fille était « en parfaite santé », contestant les déclarations d’Ahmad Vahidi, le ministre de l’Intérieur, qui prétexte que « Mahsa avait apparemment des problèmes antérieurs » et qu’elle « avait subi une opération au cerveau à l’âge de cinq ans » 11.
Selon Chirine Ardakani, « La certitude, c’est qu’elle a été appréhendée avec brutalité dans ce van avec d’autres jeunes femmes. On ne saura jamais ce qui s’y est passé, puisque les femmes qui étaient avec elle ont été tenues au silence. L’avocat de la famille de Jina Mahsa Amini, Saleh Nikbakht a demandé à plusieurs reprises aux autorités de faire entendre tous les témoins qui étaient à la fois dans le van, puis ensuite dans le centre de détention. Il n’a jamais obtenu ces auditions. Si bien que l’accusation c’est la version officielle. » Version mise à mal par « une fuite de documents qui montre une fracture, un hématome crânien. Et, évidemment, c’est la thèse de la famille, elle est morte des coups qui lui ont été assénés par la police des mœurs » 12. Cette fuite de documents ne doit rien au hasard. Elle résulte du refus de la société civile, notamment des journalistes et des soignants, de céder à la propagande d’État et de propager ses mensonges. « Quand la radiotélévision d’État a prétendu que Mahsa Amini souffrait de problèmes cardiaques pour dissimuler la vraie cause de son décès, l’équipe médicale de l’hôpital Kasra, où la jeune femme était plongée dans un coma mortel, n’a pas cédé : les images de son traumatisme crânien dû aux coups reçus, sont sorties » 13.
Cette arrestation et ce passage à tabac auraient pu échapper à l’attention, mais Niloofar Hamadi, journaliste sportive au quotidien réformiste « L’Orient » l’un des journaux les plus anciens et les plus lus d’Iran, se rend à l’hôpital Kasra pour recueillir le témoignage de cette jeune Iranienne kurde qui vient d’être admise à l’hôpital. Être journaliste sportive a un sens particulier. Il témoigne d’un engagement féministe, explique Chowra Makaremi. « Puisque l’accès des femmes au sport est […] un des terrains de lutte de cette société civile féministe iranienne qui existe depuis plusieurs décennies et qui, dans une configuration du pouvoir où il est impossible de demander frontalement un changement de régime ou un changement d’ordre, a essayé de s’ouvrir des marges de réforme. Et donc c’est une société civile féministe porteuse d’un savoir-faire très précis, de façons d’investir des formes de lutte qui sont relativement tolérées, donc pas particulièrement le hijab qui est vraiment une ligne rouge, une ligne de confrontation, mais, par exemple le fait de pouvoir faire du vélo, de participer à des compétitions de natation, etc. » Par ailleurs, Niloofar Hamedi a couvert depuis le printemps 2022, quelques mois avant la mort de Mahsa Amini, des violences de la police des mœurs, notamment celles effectuées à l’encontre de Sepideh Rashno 14.
Les parents de Mahsa Amini ont porté plainte contre les miliciens qui ont interpellé leur fille, une plainte qui n’a jamais été instruite. Le comité d’établissement des faits de l’ONU considère donc que le droit de la famille n’a pas été respecté. Chirine Ardakani souligne : « c’est intéressant que ce même comité de l’ONU a fait un lien direct entre la mort de Jina Mahsa Amini et la législation sur le voile obligatoire en disant : on ne saura jamais si elle est morte des coups donnés par la police, par contre on sait qu’elle ne serait jamais morte si la loi sur le voile obligatoire n’existait pas » 15.
Le délit de mauvais hijab
Selon les autorités, Jina Mahsa Amini s’est rendue coupable de ne pas avoir respecté le règlement relatif au port du hijab en public. La conférencière Sahar Maranlou explique : « Le terme hijab est un mot arabe qui signifie « couvrir ». Cependant, depuis 1970, il désigne différents types de vêtements, allant du manteau à manches longues, du pantalon et du foulard au tchador, la tenue préférée du gouvernement islamique, un tissu noir ample couvrant l’ensemble du corps » 16.
Pour la police confrontée au délit de mauvais hijab, les femmes doivent être entièrement voilées. Seuls le visage et les mains jusqu’aux poignets peuvent être apparents. De plus, elles doivent cacher leurs formes et leur beauté. Ne pas respecter ce cadre signifie résister ou dévier par rapport à l’ordre établi 17.
Il est à noter que la loi sur le délit de « mauvais hijab » ou de « hijab inapproprié » ne définit pas ce concept. Cette loi très floue est donc sujette à des interprétations différentes de la part aussi bien des forces de l’ordre que de la police des mœurs, et leur permet ainsi de réprimer les femmes de différentes façons 18.
En cas de délit de mauvais hijab, la police a plusieurs possibilités :
« la remise sur le droit chemin pour des femmes délibérément tenues pour ignorantes, qui ne savent pas et se conformeront au conseil prodigué ;
l’encadrement correspondant à des femmes que l’on soumet à la discipline au commissariat central où elle doivent signer un engagement à respecter le hijab ; la judiciarisation pour des femmes à qui, en plus du mauvais hijab, on reproche d’autres déviances et qui seront déférées aux autorités. »
Après avoir interpellé et interrogé les contrevenantes au hijab, la police des mœurs, Gasht-e Ershad, les escorte généralement jusqu’au fourgon de police qui les conduit au commissariat central. L’attitude de la police serait respectueuse envers les femmes selon les sources officielles. Mais différents témoignages décrivent diverses formes de violences et comportements méprisants à l’égard des femmes arrêtées : la menace d’exclusion du lieu de travail ou d’études, la violence physique, la violence verbale, la violence psychologique, la violence sur les biens, la violence verbale directe ou indirecte à l’égard des familles, la violence symbolique de l’atteinte à l’honneur et à la dignité en présence de la famille, la menace de violences sexuelles et physiques, la menace d’exclusion du lieu de travail ou d’études.
Les femmes sont victimes d’un traumatisme durable 19.
La portée de violence de la police des mœurs contre les femmes a pu être révélée grâce à l’analyse, en 2019, de plusieurs vidéos. On peut voir les policiers et policières, après avoir arrêté des femmes au hasard, les menacer, leur intimer de remettre leur foulard pour dissimuler des mèches de cheveux, leur tendre des mouchoirs en papier pour qu’elles se démaquillent. « Dans ces vidéos, on les voit les agresser physiquement, les gifler, et les pousser sans ménagement dans des fourgons de police » 20.
En janvier 2018, un nouveau décret est publié stipulant que les femmes ne respectant pas le code vestimentaire islamique ne sont plus passibles d’amendes ni d’emprisonnement, mais doivent suivre des cours d’éducation islamique. « Les femmes ne seront plus conduites en centre de détention et ne feront plus l’objet de poursuites judiciaires », ont déclaré les médias locaux, citant le chef de la police de Téhéran, le général Hossein Rahimi. Elles doivent signer un formulaire s’engageant à ne plus se rendre coupable de l’infraction de « mauvais port du hijab », et sont astreintes à prendre part à des « orientations » coordonnées par la police des mœurs pour apprendre à se conformer à la morale islamique. A noter que cette nouvelle ordonnance n’est valable qu’à Téhéran, néanmoins, même dans la capitale celles qui contreviennent au code vestimentaire à différentes reprises pourraient être exposées à des poursuites judiciaires 21.
A partir du moment où la visibilité de la police des mœurs se révèle être un problème à l’automne 2022, sa présence diminue dans les grandes villes au bénéfice de techniques plus adaptées à des formes de contraintes contemporaines : reconnaissance faciale, contravention envoyée par SMS sur les téléphones portables des femmes, menace de suspension du compte bancaire, confiscation de la voiture, etc. C’est une espèce d’adoucissement des peines, dont parlait Michel Foucault, en lien avec de nouveaux modes de surveillance, mais qui permettent finalement d’augmenter le coût de la désobéissance civile et d’amener de nouvelles formes de contraintes qui sont plus proches de la citoyenneté extrêmement contrainte qui prospère en Chine actuellement 22. Une société moderne au service d’un système patriarcal et rétrograde.
Roani a mis en place la citoyenneté électronique permettant aux Iraniens d’effectuer de nombreuses démarches en ligne. Ce sont en réalité des outils de surveillance et de gestion de la population très contemporains, adaptés à des individus modernes. Chowra Makaremi définit l’État iranien comme « un laboratoire avancé de la répression internationale, de façons de gouverner les populations à la fois modernes et contemporaines et fondées sur une idéologie totalement liberticide et féminicide » 23.
Le port du voile obligatoire

Bien avant la Révolution islamique de 1979, la question du voile divise la société iranienne. « Deux lois très différentes, issues d’idéologies opposées, ont été utilisées pour tenter de contrôler les femmes et le fait de se couvrir les cheveux et le corps au cours des 90 dernières années » 24.
Reza Shah, le fondateur de la dynastie Pahlevi, est à l’initiative, en 1936, du décret de « dévoilement » Kashf-e hijab, en persan ou Libération des femmes iraniennes, dont l’objectif est de prohiber le voile dans les lieux publics hormis les monuments religieux. Cette mesure est incluse dans un programme d’évolution des droits de la femme, d’occidentalisation et modernisation de la société 25.
Reza Shah s’inspire certainement des lois vestimentaires du dirigeant turc Mustafa Kemal Atatürk. Ce décret de dévoilement a provoqué un certain nombre de polémiques, aboutissant à une scission entre la population attachée au voile et la population qui souhaitait s’en libérer 26.
La réforme est appliquée avec violence. Le 13 juillet 1935, l’armée réprime dans le sang la manifestation qui a lieu devant la mosquée Goharshad. Reza Shah met en place un régime militaire pour imposer le décret interdisant le tchador. Les opposants sont traqués et les grandes écoles religieuses détruites. Apparaît alors une opposition religieuse à un régime accusé de faire le jeu des Européens possédant une grande partie des ressources économiques du pays 27.
Par ailleurs, une majorité de femmes s’oppose à ce décret : « Le voile symbolisait le « signe de la bienséance et un moyen de protection contre les yeux menaçants des hommes étrangers » ; ainsi, « pour la majorité des femmes iraniennes, retirer le voile signifiait commettre un péché et une honte majeurs 28 ».
Cependant, ce décret trouve un écho favorable auprès de nombreuses associations féministes jugeant le voile comme un moyen de soumission et de ségrégation, et se battant pour son interdiction dans l’optique d’une égalisation des sexes. L’interdiction du voile a été plutôt respectée à Téhéran, et dans les grandes villes – en accord avec l’influence occidentaliste, donc modernisatrice, que Reza Shah ambitionnait de donner à son règne – alors que le reste de la société a continué à porter le voile conformément à ses traditions locales.
« De 1941 à 1979, aucune loi n’imposait aux femmes ce qu’elles devaient porter, mais de nombreuses femmes portaient encore le foulard, soit par opposition à la monarchie, soit parce que leurs choix étaient limités par des valeurs patriarcales telles que le namus (honneur) et le contrôle strict des membres masculins de la famille » 29.
Après la Révolution, le voile est au cœur du dispositif politico-religieux de la République islamique. Farhad Khosrokhavar, sociologue et directeur d’études à l’EHESS, explique : « Le voile est en un sens le fondement symbolique de la théocratie islamique en Iran qui a fait de l’asservissement de la femme la pierre de touche de sa légitimité, faute d’avoir pu réussir sur d’autres fronts » 30.
La révolution islamique aspire à remplacer les valeurs du régime précédent et de l’Occident. « Le voile (tchador) était en somme considéré comme un symbole de la lutte contre les valeurs du passé » souligne Ali Jafari 31. Une grande partie des intellectuels, des gens cultivés, des femmes et des hommes issus de diverses couches sociales l’acceptèrent en tant que symbole révolutionnaire d’unité, et soutinrent ainsi la politique du hijab.
En mars 1979, l’État oblige toutes les femmes à le porter dans les lieux publics. Elles sont assujetties à des règles strictes de conduite en société, et leur engagement dans les activités sociales est conditionné au port du hijab. L’ayatollah Khomeini déclare « Chaque fois que dans un autobus un corps féminin frôle un corps masculin, une secousse fait vaciller l’édifice de notre révolution » 32. Une déclaration confirmant que la question des femmes en Iran est plus politique que religieuse et rattachée à l’identité du régime. Firouzeh Nahavandi souligne : « L’invisibilité du corps des femmes, la ségrégation des sexes et l’inégalité institutionnalisée, en effaçant l’égalité des sexes, deviennent partie intégrante de l’identité islamique promue par l’État et de son discours anti-impérialiste et anti-occidental. Dans le même temps, le contrôle du corps des femmes sert les intérêts du patriarcat. Le voile surveille la sexualité féminine. Il affirme le comportement vertueux et modeste qui doit symboliser toute femme musulmane » 33.
Le port du voile obligatoire permet à la République islamiste d’affirmer son autorité dès 1979. C’est le fondement d’un régime théocratique qui impose des contraintes et une limitation des libertés à l’ensemble de la société. « Le corps voilé de la femme devient le point de départ de l’exercice du pouvoir par les religieux shi’ites, pour s’étendre ensuite à toute la société », souligne la sociologue et politologue Mahnaz Shirali 34.
Un nombre considérable des femmes de certains quartiers de Téhéran s’oppose à cette obligation en manifestant. Elles se heurtent aux partisans de l’ordre et aux forces révolutionnaires radicales qui organisent de violentes contre-manifestations commanditées par Khomeyni 35. « L’imposition autoritaire du voile est aussi dictatoriale que l’avait été la décision de chah Reza d’arracher le voile aux femmes », clame une manifestante le 8 mars 1979 36, date de la Journée internationale des droits des femmes durant laquelle des milliers d’Iraniennes manifestèrent dans la rue pour protester contre l’imposition du hijab, avec des slogans tels que « liberté de choix vestimentaire » 37.
L’anthropologue Fariba Adelkhah souligne : « Dans la mesure où la révolution n’était pas islamique à l’origine, et où elle a drainé toutes les couches sociales et toutes les tendances politico-idéologiques, l’obligation du port du voile a souvent été très cocasse dans son application. Au début de la révolution, on l’imposait par exemple aux femmes enseignantes, mais pas à leurs élèves. Ensuite, dans un deuxième temps et jusqu’à la guerre, on a obligé les élèves à porter le voile mais seulement à l’intérieur de l’école » 38.
En 1979, ne pas porter le voile signifiait être partisan du shah, donc opposé à la révolution. Ce refus a pour conséquence la dévalorisation des femmes, des regards désapprobateurs et des menaces de violence de groupes autonomes. Par ailleurs, la propagande sur l’intérêt du hijab et la nécessité de le porter sont omniprésentes. La sociologue Firouzeh Nahavandi explique : « Les femmes sont l’emblème public de l’honneur de la nation, tandis que le féminisme, associé à l’Occident, symbolise la décadence, tout comme les lois concernant les femmes, édictées sous Mohammad Reza Shah, ont été présentées comme un danger pour la sécurité nationale » 39.
Pendant la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, le sujet de la tenue vestimentaire devient encore plus prégnant. En effet, les familles, les proches des martyrs ou même des combattants jugent le non port du hijab comme une attitude de mépris et de moquerie envers leurs valeurs. « D’où l’émergence logique à côté des slogans purement politiques comme « À mort l’Amérique ! », « À mort Israël ! », « À mort les opposants au Guide suprême » du slogan « À mort le mauvais hijab ! » sur les murs des cités » explique Ali Jafari 40.
Selon Fariba Adelkhah : « La dramatisation créée par la guerre contre l’Irak a certainement favorisé la généralisation du voile, car les forces de l’ordre étaient enclines à voir dans toute velléité de dissidence une trahison » 41.
Le port du voile devient obligatoire pour toutes les femmes iraniennes à partir d’avril 1983. Les femmes évoluant dans les lieux publics sans tenue islamique sont passibles, selon le Code pénal, d’une peine allant jusqu’à 74 coups de fouet. C’est à partir de là qu’est instituée une police particulière contre le délit de mauvais hijab.
Même si l’arrivée au pouvoir du réformateur Mohammad Khâtami en 1997 s’accompagne de certains changements, puisque s’initie un débat sur le caractère privé du hijab, elle n’empêche pas l’adoption en 2005, durant les derniers mois de son mandat présidentiel, d’un projet de loi par le Conseil supérieur de la révolution islamique sur le « développement d’une culture de la chasteté et de la tenue islamique (hijab) ». Ce projet de loi est complété par un texte sur l’instauration des modes et des normes vestimentaires adopté sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejâd, qui, lors de son accession au pouvoir en 2005, avait pourtant affirmé que le hijab n’était pas son affaire.
La police des mœurs
Par ailleurs, il met en place la police des mœurs, appelée officiellement Gasht-e Ershad, « patrouille d’orientation », qui remplace les autres formes de police religieuse. Cette unité est chargée de « répandre la culture de la décence et du hijab » 42. Le chef des forces de sécurité qualifie les femmes en tenue incorrecte de « mannequins mobiles ». « Faire du délit contre le hijab une atteinte à la sécurité en aggravait le caractère », estime Ali Jafari. C’est en 2006 que la police des mœurs commence ses patrouilles dans les rues.
En 2008, le Conseil de la culture publique proclame le 12 juillet « jour du hijab et de la chasteté ». La thématique de la guerre flexible apparaît après les événements provoqués par l’élection présidentielle de 2009. L’ennemi est accusé d’essayer d’affaiblir le régime en propageant le délit de mauvais hijab 43.
La tolérance et les prérogatives de la police des mœurs varient selon les années et les gouvernements. Sous Hassan Rohani, modéré, on croisait dans les rues des femmes vêtues de hijab coloré et des jeans serrés.
On constate un regain de la brutalité de la police des mœurs à partir de l’élection d’Ebrahim Raïssi, en 2021, porté par l’élite religieuse conservatrice. Beaucoup de jeunes femmes accusent la Police des mœurs de vouloir « faire du chiffre ». Pour Raïssi, les transgressions répétées à la loi sur le hijab représentent la « promotion organisée de la corruption [morale] dans la société islamique ». Le 5 juillet 2022, il réclame que la loi « sur le hijab et la chasteté du pays » de 2005 soit rigoureusement respectée : le hijab doit non seulement couvrir les cheveux, mais aussi le cou et les épaules. Un mois plus tard, il fait publier un décret rendant plus sévère les punitions pour « hijab inapproprié » 44.
Le 13 octobre 2022, les « Rondes de l’obéissance » (gasht-e ejbâr) ont été remises en cause par Ali Larijani, ancien président du parlement et conseiller de Khameneï, qui estimait que la priorité des forces de l’ordre n’était pas le mauvais port du voile – ce dernier rejeté selon lui par la moitié des Iraniennes – mais la montée de la délinquance. Raïssi parle de la possibilité d’une « révision » (bâznegari) de la législation dite « culturelle » « Filandreux à souhait, le discours présidentiel semblait toutefois fait pour gagner du temps, pour occulter aussi d’autres composantes, jugées plus menaçantes, des protestations actuelles » 45.
Le 3 décembre 2022, Mohammad Jafar Montazeri, procureur général d’Iran a annoncé la dissolution de la police des mœurs, en affirmant que celle-ci n’avait rien à voir avec le pouvoir judiciaire. Cependant, selon le Code de procédure pénale iranien, les fonctionnaires de police sont considérés comme des « fonctionnaires de justice » pouvant procéder à des arrestations et mener des interrogatoires sous la supervision et les ordres du procureur. En déclarant supprimer la police des mœurs, il a précisé que « le pouvoir judiciaire continuera de réglementer le comportement des gens dans la société ». Le corps des femmes continuera d’être contrôlé par l’intermédiaire des lois sur le port obligatoire du voile. Car le pouvoir peut tolérer le voile mal porté mais pas enlevé. Il perdrait un de ses piliers. Selon Firouzeh Nahavandi, « De nouvelles mesures à l’encontre des femmes non voilées sont prononcées (confiscation de leur voiture, fermeture de leur commerce…) en plus des arrestations ou des coups de fouet habituels; elles sont même étendues à leurs proches et à tous ceux qui les aideraient. La violence envers elles s’accroît » 46.
Chowra Makaremi souligne que le dispositif législatif n’a pas suffi à contraindre les Iraniennes à porter le voile. Il a fallu l’accompagner d’une très grande violence milicienne, comme projeter de l’acide, attaquer à l’arme blanche, frapper sur la tête des jeunes femmes. « Voile ta tignasse ou je te tabasse », frapper les femmes, les assommer est une technique très ancienne dans le milieu islamiste qui remonte à la révolution de 1979. Si Chowra Makaremi ne s’est pas dit « Mahsa aurait pu être moi », c’est parce qu’elle estime que Jina Mahsa Amini a été prise pour cible pour des raisons très particulières déjà explicitées. Mais elle s’est tout de même identifiée à elle « parce que sa mort montre, c’est que la façon très subversive d’ouvrir des espaces de liberté, par exemple la question du sport pour les femmes, cette façon de vivre à côté du régime théocratique, donc toutes ces formes subversives de résistance passive pouvaient mener à la mort. Et je pense que c’est là qu’une autre ligne a été franchie. C’est-à-dire que tout à coup, on s’est retrouvé face à la violence politique de ce régime […] que les Iraniens et les Iraniennes avaient aussi tenté de camoufler […] sous un quotidien qu’ils essayaient de vivre différemment et selon des normes beaucoup plus séculières, de classes moyennes globales dont la chanson « Baraye » chante un peu les valeurs » 47. « Les combines et les faux-fuyants de la société dans son affrontement avec l’État tyrannique ne demeurent pas sans risque et souvent les familles paient un lourd tribut contre le régime qui brandit son épée de Damoclès au-dessus de leur tête ». confirme le sociologue Farhad Khosrokhavar 48.
Baraye par Shervin Hajipour
برای توی کوچه رقصیدن
Pour danser dans la rue
برای ترسیدن به وقت بوسیدن
Pour avoir peur lorsqu’on s’embrasse
برای خواهرم، خواهرت، خواهرامون
Pour ma sœur, ta sœur, nos sœurs
برای تغییر مغزها که پوسیدن
Pour changer les cerveaux qui ont pourri
برای شرمندگی، برای بیپولی
Pour avoir honte de ne pas avoir d’argent
برای حسرت یک زندگی معمولی
Pour le regret d’une vie ordinaire
برای کودک زبالهگرد و آرزوهاش
Pour l’enfant poubelle et ses rêves
برای این اقتصاد دستوری
Pour cette économie par décret
برای این هوای آلوده
Pour cet air pollué
برای ولیعصر و درختای فرسوده
Pour Valiyeasr et ses arbres pâles
برای پیروز و احتمال انقراضش
Pour le pirouz et son extinction probable
برای سگهای بیگناه ممنوعه
Pour les chiens innocents interdits
برای گریههای بیوقفه
Pour les larmes qui ne cessent de couler
برای تصویر تکرار این لحظه
Pour l’image répétée de ce moment
برای چهرهای که میخنده
Pour un visage souriant
برای دانشآموزا، برای آینده
Pour les élèves, pour l’avenir
برای این بهشت اجباری
Pour ce paradis imposé
برای نخبههای زندانی
Pour cette élite enchaînée
برای کودکان افغانی
Pour les enfants afghans
برای اینهمه «برای» غیرتکراری
Pour tous ces arguments différents
برای اینهمه شعارهای توخالی
Pour tous ces slogans vides
برای آوار خونههای پوشالی
Pour la ruine de fausses maisons
برای احساس آرامش
Pour se sentir en paix
برای خورشید پس از شبای طولانی
Pour le soleil après de longues nuits
برای قرصهای اعصاب و بیخوابی
Pour les sédatives et les hypnotiques
برای مرد، میهن، آبادی
Pour l’homme, la patrie, le développement
برای دختری که آرزو داشت پسر بود
Pour une fille qui souhaitait être fils
برای زن، زندگی، آزادی
Pour « Femmes, Vie, Liberté »
برای آزادی
Pour la liberté
برای آزادی
Pour la liberté
برای آزادی
Pour la liberté
Sondages sur le hijab obligatoire et le régime
Les professeurs Pooyan Tamimi Arab et Ammar Maleki évoquent dans leur article « Iran protests : majority of people reject compulsory hijab and an Islamic regime, surveys find » les sondages réalisé par « Le GAMAAN (Groupe d’analyse et de mesure des attitudes en Iran) 49. En voici la traduction : « [Cet organisme] a mené entre 2019 et 2022 des enquêtes permettant de mesurer l’ampleur du mécontentement des Iraniennes et des Iraniens à l’égard du hijab obligatoire et du régime qui l’a imposé après la révolution islamique de 1979.
L’enquête sur la religion menée en 2020 a confirmé qu’un virage laïc est en cours en Iran. Si plus de 90 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été élevées dans une famille croyante et/ou pratiquante, environ la moitié ont indiqué être devenues non religieuses au cours de leur vie. Parallèlement, 72% s’opposaient explicitement au hijab obligatoire.
Les femmes, la jeune génération et les personnes diplômées de l’enseignement supérieur vivant en ville étaient les groupes les plus opposés au hijab obligatoire. Cependant, la majorité des hommes, des personnes vivant en zone rurale, des personnes de plus de 50 ans et des personnes sans diplôme d’études supérieures s’opposaient au hijab obligatoire. Cette opposition est donc bien nationale.

Results from GAMAAN’s 2020 survey on Iranians’ attitudes toward religion.
Les conflits autour du hijab obligatoire se sont principalement divisés selon des critères politiques et religieux. Environ la moitié des personnes déclarant croire au port du hijab pour des raisons religieuses étaient également explicitement favorables à l’utilisation du pouvoir étatique pour le faire respecter, tandis que seulement un quart environ rejetait explicitement son application.
Les Iraniennes se déclarant musulmanes pratiquantes ont également exprimé leur angoisse face aux violences arbitraires et extrêmes commises par la République islamique à leur encontre. Si certaines tentent de maintenir un équilibre délicat entre croyances religieuses et politique, beaucoup continuent d’abandonner complètement la religion. Ces dernières critiquent non seulement le gouvernement islamique, mais aussi les idéaux de piété islamiques en eux-mêmes : si 23 % de la population cible affirmaient le rôle religieux que le hijab jouait pour elles en 2020, 57 % déclaraient ne pas avoir de conviction religieuse dans le port du foulard.
Ces attitudes laïques expliquent pourquoi les femmes brûlent publiquement le hijab et scandent des slogans contre l’idée même d’un régime islamique. Pour elles, le hijab obligatoire est le Mur de Berlin de la République islamique.
Ce constat est confirmé du GAMAAN de 2022 sur les systèmes politiques, qui a montré qu’environ 67% de la population cible d’adultes alphabétisés sont opposés à un système politique régi par la loi religieuse. Là encore, les femmes, la jeune génération et les personnes diplômées de l’enseignement supérieur vivant en ville sont les groupes les plus opposés à l’idée d’un régime islamique. Le niveau de soutien à un régime islamique le plus élevé, soit 35%, a été exprimé par les personnes vivant en zone rurale.

Results from GAMAAN’s 2022 survey on Iranians’ attitudes toward political systems.
Des données du GAMAAN sur une autre question relative aux orientations politiques indiquent qu’environ 63% de la population est favorable à un changement de régime ou à une transition depuis la République islamique. Seuls 8 % soutiennent les « réformes » dans le cadre de la République islamique.
Compte tenu de ces chiffres, il n’est pas surprenant que parmi les slogans les plus entendus dans tout le pays figurent des appels à la chute de la République islamique. Les vidéos que les Iraniens ordinaires tentent désespérément de montrer au monde reflètent ainsi la réalité sociale du pays. En réalité, la majorité s’oppose au hijab obligatoire et les citoyens de toutes les couches sociales ne veulent pas d’une République islamique. »
Les femmes : des résistantes de longue date

La journaliste et écrivaine Delphine Minoui considère que « Lors de l’enterrement de Mahsa Amini, il se passe quelque chose d’incroyable – on aurait pu penser que tout le monde allait s’emmurer derrière une espèce de façade de terreur, de peur comme le régime était parvenu à le faire jusque-là – […] mais des femmes se mettent à scander « Femme, Vie, Liberté », enlèvent leur voile près du tombeau de Mahsa Amini, osent exposer leurs cheveux en plein air et accomplissent le geste symbolique de se les couper, geste issu de légendes ancestrales. Se couper les cheveux est à la fois une sorte de mise en scène de la mort qu’on retrouve traditionnellement dans certaines régions comme le Kurdistan, le Lorestan, mais que l’on retrouve aussi dans le Livre des Rois de Ferdowsi qui date du 10ème siècle, où l’héroïne Farenguis se coupe les cheveux à la mort de son mari, le grand héros Siavach.
La légende de Chehelguissou, la femme aux quarante chevelures fait également écho à ce que font les femmes après la mort de Mahsa Amini. L’héroïne se coupe les cheveux et ceux-ci touchent les racines d’un arbre mort. Quand ils le touchent, l’arbre et l’ensemble de la végétation renaissent. Donc quand ces femmes se coupent les cheveux sur le tombeau de Mahsa Amini, c’est une façon de dire : vous avez tué Mahsa, mais en la tuant vous avez encouragé 1000 autres Mahsa à reprendre le flambeau et à continuer ce combat inachevé des femmes » 50.

Il est primordial de rappeler qu’il existe depuis la fin du XIXe siècle une longue tradition de défense des droits des femmes en Iran. Les revendications pour les droits des femmes ne datent donc pas de la mort de Jina Mahsa Amini 51. La résistance a été obligée de s’adapter aux situations, car « dans un pays où la vie n’a aucune valeur, contester ouvertement, c’est se mettre en danger. Dès lors, les femmes ont mis en place des mécanismes de résistance, tant au niveau privé et individuel – entre autres faire des études de plus en plus longues, ne pas se voiler correctement, contrôler sa fécondité, chanter, danser – qu’au niveau public campagnes d’opinion, utilisation du sport comme terrain de lutte pour l’égalité, ou encore multiplication de sites web défendant leurs droits » 52. Pour les femmes qui ne se sont pas exilées après la révolution, le régime restreignait considérablement les réunions. « Les femmes ont alors inventé des « cercles de femmes » dans leurs maisons privées sous la forme de groupes d’étude, de projections de films, de réunions d’écrivains, de rédactions communes, de sessions d’analyses juridiques, de groupes d’alpinisme, de voyages de groupe, de commémorations du 8 mars, d’ateliers d’écriture de contes ou d’essais. La boîte à outils de la femme iranienne » selon Parvin Ardalan, journaliste et militante féministe 53. Delphine Minoui utilise le terme de « résistance de l’ombre » à travers la création de journaux féminins Zanan, Farzaneh, par le biais de poèmes, en faisant partie d’ONG, en participant au combat pour soutenir les enfants des rues, pour se mobiliser contre la peine de mort, pour la défense de l’environnement.
La sociologue et écrivaine Chahla Chafiq explique que beaucoup de femmes très engagées dans l’opposition au régime du Shah ne souscrivaient pas à la conception du rôle de l’islam dans la politique prônée par les islamistes. Mais Khomeiny scruta attentivement la participation importante des Iraniennes et salua leur présence aux manifestations. Il approuva la contribution des femmes aux activités publiques et les exhorta à participer activement à l’élaboration d’une société islamique. Un revirement, car ce même Khomeiny s’était élevé en 1961 contre la révolution blanche du Shah, qui accordait, entre autres, des droits politiques aux femmes. « Le changement de discours de Khomeiny est de taille. Avant la révolution, il faisait des femmes l’objet de son propos, alors que dans ses nouveaux discours, il s’adresse aux femmes en tant que sujets » 54. Tout en n’omettant jamais de rappeler que les droits des femmes seraient assurés à condition de respecter certains principes religieux. La volte-face de Khomeiny est révélatrice de l’irrévocable évolution du statut des femmes iraniennes allant de pair avec une sécularisation progressive : accès à la scolarité, à l’espace public et au travail rémunéré.
Notons que ce discours rencontra l’adhésion d’une grande partie des groupes de gauche qui ne se posa aucune question sur ce revirement et sur l’assujettissent de l’égalité des droits au respect de la religion, ce qui en dit long sur la déconsidération des valeurs démocratiques auprès de l’opposition séculière du régime du Shah. En effet, ce dernier, bien qu’instigateur de réformes sociétales, réprimait brutalement l’opposition et ne permettait à aucun des citoyens et citoyennes de participer à la vie politique du pays. Cet état de fait ne fit que renforcer l’islamisme. Par ailleurs, le Shah estimait les religieux comme la meilleure protection contre la gauche. « Ce sont ces courants de l’islam politique représentés par des figures non religieuses qui furent le moteur du développement de l’islamisme en tant qu’utopie sociale parmi les classes sociales urbanisées. Il en va ainsi du Dr Ali Chariati, l’idéologue de l’islam révolutionnaire » 55.
Singulièrement, avec un langage révolutionnaire, Chariati se ralliait à Khomeiny qui tenait des propos conservateurs dans son opposition à l’indépendance et à la liberté des femmes. Cette rencontre donna le jour à des formules comme « révolution islamique » ou « république islamique », mélange de notions religieuses mâtinées de concepts démocratiques modernes. L’Iran a fait l’amère expérience du hiatus entre une assurance de justice et de dignité et la mise en place d’un régime totalitaire bâti sur l’idéologisation de la religion.
A peine la République islamique instaurée, les nouveaux dirigeants ont abrogé toutes les lois qui, selon eux, étaient non conformes à la charia. Les législations civiles du régime monarchique relatives à la famille et au mariage ont donc été immédiatement annulées, abolissant les réformes dont les femmes avaient été bénéficiaires. Le port du voile est rendu obligatoire. L’âge minimum légal du mariage est ramené à 15 ans pour les filles et à 18 ans pour les garçons. Les tribunaux religieux sont réinstaurés sous le nom de « Cour civile spéciale », les juges devant être obligatoirement docteur en jurisprudence musulmane. S’ensuivirent la destruction du droit de garde et de tutelle de l’enfant et du droit au logement. Les articles de la loi relatifs au divorce ont été abrogés, rétablissant ainsi les droits des hommes à la répudiation unilatérale de leurs épouses et à la polygamie.
Le droit de vote des femmes ne fut pas aboli car Khomeiny ne pouvait pas se passer du scrutin de la moitié de la population. Mais si elles ont conservé ce droit, tous les postes judiciaires et ministériels qu’elles occupaient furent supprimés. Par ailleurs, elles ne pouvaient pas s’inscrire à certains cursus universitaires. Les discriminations sexistes furent accrues par d’autres mesures de non-mixité.
La restriction et la violation des droits des femmes et de leur liberté furent ainsi l’un des principaux piliers du régime islamique. Les femmes furent les premières à s’insurger contre le nouveau régime en manifestant le 8 mars 1979 pour combattre la loi les obligeant à porter le voile, ainsi que celle abrogeant la loi précédente sur la protection de la famille.
La fronde contre le voile obligatoire a commencé à travers des mèches qui débordaient de devant, de derrière, des femmes qui se teignaient les cheveux en blond. « C’est par une modification aussi profonde que silencieuse des manières de le porter […] que s’est façonné après la guerre un mouvement de femmes qui ont progressivement modifié l’espace public en colorant, en raccourcissant leurs voiles et leurs tuniques. C’est la tactique de la « présence comme résistance » : imposer à doses progressives, sans aucun discours ni revendication explicites, son corps subversif, comme l’illustre la pratique du vélo par les femmes dans la rue, ou leur présence dans les stades » 56.

Cette présence comme résistance s’effectue avec beaucoup d’audace et parfois beaucoup d’humour. Delphine Minoui se souvient de copines quand elle habitait à Téhéran « qui allaient se faire tatouer les lèvres de rouge et les sourcils. Ainsi, quand elles arrivaient à l’université, elles faisaient face aux miliciennes, aux gardiennes de la police des mœurs qui les attendaient avec du coton. Et quand ces dernières passaient le coton sur les sourcils et les lèvres, la couleur restait. La couleur devenait un acte politique. Et c’est ça qui me fascine chez les Iraniennes depuis quelques années, c’est que, repensons même à Gilles Deleuze qui disait « Les pouvoirs ont besoin de corps tristes », à ce corps triste, les femmes opposent un corps joyeux, un corps qui résiste et la joie devient subversive en Iran et c’est une résistance de tous les jours, c’est une résistance au quotidien au-delà de la politique. Si on relit les légendes, si on relit les textes poétiques, les femmes ont toujours été frondeuses en Iran. Je pense notamment à cette poétesse Tahereh qui a cette audace avec un parti pris très moderne, avant-gardiste, même sur la scène internationale. Donc Tahereh, il y a 150 ans, c’est une femme qui ose retirer son voile devant une assemblée d’hommes et quelque temps plus tard, elle se retrouve assassinée pour avoir frontalement imposé ses idées et ses idéaux.
Si je confie au vent
ma chevelure ambrée,
j’attraperai toutes les gazelles des champs.
Si de khôl, je farde mes narcisses tendres,
je plongerai le monde dans les ténèbres.
Si le ciel désire voir mon visage,
il sortira chaque matin son miroir d’or.
La poésie est vraiment une arme. Je pense à Simin Bekbahani et Foroug Farrokhzad, deux grandes poétesses du XXème siècle. Foroug Farrokhzad, qui a toujours, dans ses poèmes, suivi deux thématiques très érotiques et très politiques, très engagées. Il y a ce poème qu’elle a écrit dans les années 50, qui dit :
Je prends comme pendants d’oreilles
des cerises rouges assorties
je colle aux ongles de mes doigts
des pétales de dahlias.
Et ça rejoint cette fronde, à partir de petites touches, que les femmes ont toujours utilisée contre un pouvoir à la fois religieux mais également patriarcal. Et aujourd’hui ces petites touches de couleur sont devenues la couleur prépondérante dans les rues de Téhéran même si les manifestations sont réprimées. Je pense à un symbole unique qui s’est produit dans différentes villes du pays où des filles se sont amusées en pleine rue à mettre de la poudre couleur sang dans des fontaines et dans des ruisseaux pour que le lendemain la population, en se réveillant, voit cette couleur et pense à cette fronde. C’est une couleur un peu à double sens, la couleur de la mort mais la couleur de la vie. Parce que la vie, c’est aussi les roses rouges que brandissent les femmes dans les manifestations » 57.
Celles qui avaient massivement pris part aux journées révolutionnaires, s’opposèrent ainsi aux dictats islamistes et s’engagèrent dans une lutte contre les inégalités entre les sexes, sans cependant être unies constate la sociodémographe Marie-Ladier-Fouladi. Les femmes ayant fait leurs études sous le Shah, et appartenant à un milieu moderne, étaient adeptes de l’égalité entre les sexes. Celles plus jeunes, islamistes ou musulmanes pratiquantes issues de classes sociales moyennes ou aisées plaidaient en faveur du concept d’équité, afin de maintenir la complémentarité des sexes, tout en protégeant un certain nombre de droits permettant aux femmes d’avoir un statut digne et juste. Cette équité islamique préconisait des droits différenciés, synonymes de restriction des droits pour les femmes 58.
Il faudra attendre vingt ans entre la première protestation des femmes le 8 mars 1979 et leur premier rassemblement public le 8 mars 1999, et vingt-six ans pour assister à l’organisation du plus grand rassemblement de contestation des femmes en Iran en 2006. Parvin Ardalan raconte : « Le rassemblement a été violemment dispersé avec arrestations et emprisonnements. Les groupes de femmes durent encore modifier leurs stratégies et revendications en lançant plusieurs campagnes et initiatives » 59.
« La campagne » devient la forme d’action privilégiée. Citons celle pour l’accès des femmes aux stades de football et celle contre la lapidation et le mariage des mineures, respectivement initiées par Mahsi Alinejad et Shadi Sadr. Mentionnons la campagne « Un million de signatures pour l’abrogation de toutes les lois discriminatoires envers les femmes en Iran » lancée en 2006, ainsi que « la mise en place de forums pour rédiger la Charte des femmes, le réseau des Mères pour la paix, la Campagne contre la censure des droits de femmes » 60.
Delphine Minoui se souvient avoir suivi, quand elle vivait à Téhéran, « un mouvement vraiment totalement invisible, mais qui s’est organisé, structuré derrière les voiles, derrière les murs des maisons, qui s’appelait à l’époque « La mobilisation pour la parité entre les hommes et les femmes ». C’était des filles qui, en 2006, avaient la vingtaine, qui faisaient du porte à porte chez les femmes et pas seulement dans les zones urbaines, mais dans des petits villages reculés pour rappeler à celles-ci la possibilité de revendiquer leurs propres droits au-delà des lois qui existaient. Je vous donne quelques exemples. Elles allaient dire aux filles : « vous savez, c’est vrai que vous ne pouvez pas obtenir la garde des enfants quand vous divorcez, mais savez-vous que quand vous allez voir un mollah au moment du mariage, vous pouvez aussi utiliser le chiisme, une des branches de l’islam qui tolère un certain genre de réforme, et que vous pouvez revendiquer dès le départ d’obtenir la garde des enfants en cas de divorce, d’obtenir une meilleure dot vous permettant de survivre si vous vous séparez de votre mari ? ». Et là derrière les portes et derrière les maisons, ce mouvement a pris forme et il y a une véritable fronde qui s’est mise en place de façon invisible. Je dirai presque par touches homéopathies, qui s’est réellement exprimée d’ailleurs à travers le voile » 61.
En 2009, la non-mixité est mise à mal par le « Mouvement vert » où l’on voit des femmes et des hommes manifester ensemble à Téhéran et dans d’autres grandes villes. La répression est féroce. Les mouvements concernant les droits des femmes se brisèrent. Cependant l’élection d’Hassan Rohani en 2013 fait renaître l’espoir. Il nomme une femme, Marzieh Afkham, comme porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Le 15 octobre 2014, à Ispahan une jeune femme de 27 ans, au volant de sa voiture, a été attaquée à l’acide par des motards en plein centre-ville. Des messages menaçant les femmes « mal voilées » d’Ispahan avaient commencé à se propager sur les réseaux sociaux. Ces attaques surviennent au moment où le Parlement iranien a validé le premier brouillon d’une loi concevant une plus grande marge de manœuvre et une protection juridique pour les organisations et les individus qui sont chargés d’« ordonner le bien » et d’« interdire le mal ». Quant aux femmes « mal voilées », elles devraient dans un premier temps assister à des cours sur les bonnes mœurs, et en cas de récidive, elles seraient condamnées à un million de tomans d’amende (250 euros) 62.
« Un site créé en 2014 par Masih Alinejad, journaliste et activiste […] intitulé « Azadi haye yavashaki » (Les libertés furtives), publie les photos de femmes iraniennes qui prennent l’initiative d’ôter le voile dans l’espace public dès que la surveillance policière se relâche. La publication de ces photos et des paroles de ces femmes connaît un succès phénoménal » 63. Cette initiative permet de mesurer le rôle important joué par les réseaux sociaux dans les campagnes menées par les exilé-e-s iranien-ne-s pour la défense des droits des femmes et des libertés. Mais, conjointement à des conflits très médiatisés, des projets de loi relatifs à la population promettent de nouvelles restrictions pour les droits des femmes : la limitation du contrôle des naissances et la volonté de diminuer le nombre de divorces, tendant à privilégier le maintien de la famille au détriment de la lutte contre les violences domestiques.
Le mouvement connu sous le nom des « Filles de la Rue de la Révolution », « Dokhtaran-e Khiaban-e Enghelab », commence le 27 décembre 2017. Une jeune femme de 31 ans, Vida Movahed, monte sur une estrade rue Enghelab (Révolution), dans le centre de Téhéran, et brandit son voile devant la foule, le transformant en étendard en signe d’opposition au hijab obligatoire. De nombreuses femmes l’imitent. 29 d’entre elles sont arrêtées. Les participantes enlèvent leurs foulards et le dressent au bout d’un bâton en restant immobiles 64. « Leurs actions ont entraîné une augmentation du nombre de femmes qui ont bravé la rue sans hijab, défiant l’État » 65.
En 2016, Chahla Chafiq écrivait « Dans un contexte de censure et de répression, les protestations contre les discriminations sexistes qui redoublent avec la progression de la pauvreté et des maux sociaux n’ont que de minces marges de développement. Cependant, elles ne cessent de trouver des voies inédites pour s’exprimer. Les femmes y contribuent de manière de plus en plus visible. L’un des exemples significatifs en est l’avocate Nasrin Sotoudeh qui, après avoir subi plusieurs années d’emprisonnement et avoir été privée du droit d’exercer son métier, poursuit sans relâche son combat pour les droits humains et la liberté des femmes » 66.
La résistance des mères
Les femmes élaborèrent une autre expression de la résistance à la tyrannie du pouvoir islamique. « La résistance contre l’oubli des crimes du pouvoir s’est popularisée sous le nom de « Mouvement pour la justice des mères de Khavaran ». À la fin de la guerre Iran-Irak de huit ans en 1988, des milliers de prisonniers politiques ont été exécutés sur ordre de Khomeini, et jetés dans des fosses du cimetière de Khavaran à Téhéran. Ce mouvement a ainsi révélé publiquement les crimes d’État de masse de prisonniers politiques de la première décennie de la révolution islamique. Au cours des décennies qui ont suivi, les mères en deuil d’autres familles ont poursuivi le mouvement comme celles dites de « Laleh Park » 67.
« Longtemps marginale et secrète, la résistance des mères bénéficie depuis 2019 d’une attention et d’une sympathie publiques. Dans les années 1980, celles de Kharavan voulaient connaître la vérité sur la mort de leurs enfants, tandis que les mères demandent désormais justice. Elles ne cherchent pas seulement la résolution juridique des crimes, elles rappellent aussi que la mémoire – se souvenir et tenir le compte du mal causé – est l’un des visages de la justice » 68.
La résistance des femmes iraniennes dans l’intime

Parmi les voies inédites pour s’exprimer, nous pouvons mentionner la maîtrise de la fécondité, l’augmentation incessante de l’âge moyen du premier mariage – ayant pour conséquence la réduction drastique de la taille de la famille – et le progrès de l’instruction scolaire des jeunes générations de femmes depuis le début des années 1980, un paradoxe.

La maîtrise de la fécondité
Cette volonté des femmes de contrôler leur fécondité est révélatrice de la nouvelle conception que celles-ci ont de leur fonction au sein de la famille et de la société. En cela, leur participation massive à la Révolution a été décisive. La baisse considérable de la fécondité est le reflet du pouvoir d’une société à innover malgré un environnement politique et juridique hostile.
En 1966, chaque femme iranienne donnait naissance à huit enfants. Le taux de natalité est passé de 6,4 enfants en 1986 à 1,9 enfants en 2013. Le déclin le plus impressionnant a eu lieu entre 1986 (6,4 enfants) et 2000 (deux enfants), une chute de 70 % en 15 ans. Malgré l’abolition de la loi qui légalisait l’avortement pour des principes religieux, et la disparition des programmes de planification familiale pour des motifs politiques, la République islamique a échoué à maintenir le modèle traditionnel de la famille. Soulignons que l’islam n’interdit pas l’usage des contraceptifs et que, par une fatwa prononcée en septembre 1979, Khomeiny lui-même avait explicitement autorisé leur utilisation. Quand en décembre 1989, le régime opte à l’inverse pour une politique démographique néomalthusienne, elle rencontre l’adhésion de la population, étant donné l’état d’esprit des femmes, à la différence de celle conçue par le gouvernement du Shah. Marie Ladier-Fouladi tient à préciser que : « la chute de la fécondité n’avait pas attendu la reprise énergique de la planification familiale par l’État islamique en décembre 1989. Elle avait déjà baissé de 1,7 enfant entre 1978 et 1989. En réalité, l’ampleur de cette diminution dans les années 1990 est d’abord le fait des femmes » 69.
La hausse de l’âge moyen du premier mariage
A cause des études plus longues et de la modernisation des attentes familiales, l’âge moyen au premier mariage des femmes a été en constante augmentation. Et ce, bien que l’État islamique ait décrété la baisse de l’âge minimum légal du mariage des filles à 15 ans. De 19,7 ans en 1976, il est passé à 24 ans en 2011. La moyenne de cet âge à l’échelle nationale est encore plus élevée, surtout dans les grandes métropoles où il franchit la barre des 30 ans. On peut comprendre le prolongement de la période du célibat comme un marqueur de l’accès à l’indépendance des femmes iraniennes, et le résultat d’une inadéquation entre les règles complètement archaïques régissant une société qui opère une profonde mutation. On constate l’apparition de l’équivalent du concubinage assez courant dans le monde occidental.
La réduction drastique de la taille de la famille induite par la maîtrise de la fécondité et l’augmentation incessante de l’âge moyen du premier mariage a indéniablement changé les rapports au sein des couples, ainsi qu’entre les parents et les enfants.
L’accès massif des femmes à l’éducation
En 1976, seulement 28 % des femmes entre 15 et 49 ans étaient alphabétisées (50 % dans les villes et 8 % dans les campagnes). Après 1979, la République islamique se retrouva dans l’obligation d’améliorer l’accès à l’éducation pour répondre aux attentes d’une population qui venait de l’amener au pouvoir. Pour se différencier nettement de la monarchie, le régime afficha son engagement pour une diffusion large et gratuite du savoir, inscrit dans l’article 30 de la Constitution. En 2006, 87,4 % des femmes entre 15 et 49 ans étaient alphabétisées (92,1 % en ville et 76,5 % dans les campagnes). En 2006-2007, 52,4 % des 2,8 millions d’étudiants étaient des femmes. « La nouvelle génération de jeunes s’est donc construite dans cet environnement sociodémographique sécularisé » 70.
Femme, Vie, Liberté
« Je me suis toujours demandé si la cartographie ou encore la langue d’un pays avaient une influence sur sa sociologie.
En persan, ce n’est peut-être pas anodin, il n’y a ni masculin ni féminin.
Comme si les lettres mâles avaient endormi les femelles avec un coton d’éther.
Au final, tout est neutre .
[…] Un genre unisexe. Ou plutôt asexué. Le masculin neutralise le féminin, l’annule et le tue » 71.

Sa tombe porte l’épitaphe, écrite en kurde : « Bien-aimée Jina , tu ne mourras pas : ton nom sera un symbole. »
« Il est 22 h. Je vous écris de la cellule du quartier des femmes de la prison d’Evin. Je vis dans un pays où le pouvoir est détenu par un régime religieux misogyne et tyrannique auquel j’ai choisi de m’opposer pacifiquement. Quand j’ai appris le meurtre de Mahsa, j’ai tout d’abord été prise de rage. J’étais tellement en colère que si je n’avais pas été en prison, je serais aussitôt sortie dans la rue manifester. Personne ne devrait garder le silence face à une telle cruauté ». Narges Mohammadi, militante iranienne des droits humains, Prix Nobel de la paix 2023 72
Rezan se souvient […] « Lorsque Mahsa Amini est morte, un violent sentiment d’injustice m’a submergée et, pour la première fois, je suis sortie manifester. C’est dans la rue que j’ai pris conscience que mes rêves avaient été étouffés par cette société patriarcale. J’aurais aimé poursuivre mes études, mais on m’en a découragée. J’aurais aimé être une femme indépendante, avec un emploi, un salaire, une autonomie, mais on m’a mariée très jeune. J’ai alors vécu ce soulèvement comme une sorte de revanche » 73.
« [Jina Mahsa Amini] ne sait pas qu’elle deviendra l’étendard d’une vague de protestations inédites en République islamique d’Iran, d’un processus révolutionnaire dénonçant le port obligatoire du voile – symbole le plus caractéristique de la politique de réislamisation lancée par l’ayatollah Khomeiny, dès 1979 – et réclamant la fin du régime et le départ de ses dirigeants. En quelques jours, les symboles les plus visibles de la soumission des Iraniennes sont mis en cause. Des voiles sont brûlés et les femmes rejettent les interdictions. Des affiches de Khomeiny et de Khamenei sont déchirées, des statues sont dégradées… Les jeunes dansent, chantent et se côtoient, bravant tous les dangers » 74.
Les photos de Mahsa Amini hospitalisée, le visage tuméfié et ensanglanté, se propagent très largement en Iran et provoque une vague d’indignation. Ces colères ont explosé tout particulièrement à travers des réseaux sociaux. La nouvelle de son décès, le 16 septembre, est le point de départ de manifestations prenant, en moins d’une semaine, une dimension nationale 75. Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS compare cet événement à l’immolation de Mohamed Bouazizi en Tunisie engendrant un mouvement d’une incroyable effervescence dans tout le pays, agitation qui gagna de nombreux autres États arabes 76.
La journaliste Elaheh Mohammadi couvre la mort et l’enterrement de Mahsa Amini qui a lieu le 17 septembre à Saqqez, sa ville natale. La famille de Jina se retrouve entourée de mollahs venus prier au-dessus de la tombe de leur fille, alors même qu’ils ont tenté, quelques heures plus tôt, de convaincre les parents de Jina Mahsa Amini de ne pas révéler à la presse qu’elle a été torturée et tabassée. La ville est le théâtre de rassemblements. Les femmes enlèvent leur voile et crient : « Mort au dictateur » et « Femme, Vie, Liberté » inspiré du slogan féministe kurde « Jin, Jîyan, Azadi » 77.
Tu ne meurs pas / Ghazal Golshiri ; Marie Sumalla, Éditions GwinZegal & Tipping Expected, 255 p.
Les mouvements antérieurs
Avant d’analyser la nature du mouvement « Femme, Vie, Liberté », il semble important d’évoquer les mouvements qui l’ont précédé.
L’économiste Vahid Yücesoy écrit : « Depuis sa fondation en 1979, le régime islamique en Iran a utilisé au moins trois ressources importantes pour se maintenir : l’idéologie islamique (capacité idéologique), la rente pétrolière pour acheter la loyauté des couches les plus pauvres de la population (capacité économique) et la répression pour affaiblir toute dissidence (capacité coercitive). Depuis 1979, elles ont été efficaces pour assurer la pérennité du régime, mais cette efficacité a diminué progressivement » 78.
Les dernières décennies de la vie politique iranienne ont été rythmées par quatre séries de mobilisations : la révolte étudiante de 1999 ; le mouvement Vert de contestation après les élections présidentielles de juin 2009 ; les rassemblements de colère de décembre 2017-janvier 2018, puis ceux du printemps et de l’automne 2019 qui avaient des causes principalement économiques et sociales 79. Et c’est toute la différence avec les manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini. Celles-ci s’opposent au voile, l’un des piliers de la République islamique, et donc à travers lui à l’ensemble du régime iranien.
La révolte étudiante de 1999
A la suite de l’élection à la présidence de la République du religieux modéré Mohammad Khatami en 1997, la jeunesse aspire à un changement majeur de la société. Mais Khatami ne peut pas réaliser ses réformes. Le 7 juillet, la loi sur la presse est révisée de manière restrictive par le Parlement. Le 8 juillet à Téhéran, des étudiants s’élèvent contre la fermeture de Salaam, un quotidien réformateur. Le 9 juillet, les forces armées, bien qu’elles aient l’interdiction de pénétrer sur les campus, attaquent le dortoir des étudiants de l’université de Téhéran. Les villes de Tabriz, Chiraz, Ispahan et Machhad connaissent aussi des scènes de violence. Les manifestants martèlent des slogans contre le guide suprême. La répression sera violente et dénoncée par plusieurs membres du gouvernement. Les étudiants exigent plus de libertés et l’accélération des réformes. Le 20 juillet, plusieurs responsables des bassidjis et des Gardiens somment Khatami de mettre fin rapidement aux protestations sous menace d’une intervention de leur part. Les étudiants s’éloigneront de la vie politique 80.
15 juin 2009 : le mouvement vert
En 2005, Mahmoud Ahmadinejad, un ultra-conservateur, succède à Mohammad Khatami à la présidence de la République. Il jouit de l’appui des Gardiens de Révolution. Réélu pour quatre ans le 12 juin 2009, ses opposants dénoncent une fraude électorale. Trois jours après l’annonce des résultats, le scrutin est contesté par des centaines de milliers de personnes qui manifestent durant des semaines dans plusieurs villes du pays. C’est la naissance du mouvement vert, mouvement de soutien à Mir Hossein Moussavi, candidat à l’élection présidentielle soutenu par les partis « réformateurs ». Le slogan est : « Où est mon vote ? » Les Iraniens issus de la classe moyenne mettent la question du pouvoir du guide suprême au cœur des manifestations. Le régime n’hésite pas à envoyer les Bassidji et Pasdaran pour réprimer les manifestations. « Au moins 80 personnes sont tuées. Des intellectuels et activistes de l’opposition sont arrêtés massivement. Des simulacres de procès ont lieu. Des centaines d’Iraniens fuient le pays » 81.
Vahid Yücesoy note : « Les ouvriers et les classes les plus démunies étaient absents de ces manifestations. […] Les classes ouvrières avaient plutôt voté pour le candidat conservateur, Ahmadinejad, et ils ont continué à le soutenir durant le Mouvement vert. 82»
La révolte des œufs en 2017
Le 28 décembre 2017, le doublement du prix des œufs, aliment de base, a exposé le régime des mollahs au mécontentement des plus défavorisés. A Masshad, la deuxième ville d’Iran, des milliers de manifestants descendent dans la rue contre « la vie chère ». Le mouvement gagne Téhéran, Neyshabour et Kashmar, mais surtout les régions périphériques et les villes provinciales du pays. L’espoir suscité par la levée des sanctions économiques, à la suite des accords sur le nucléaire iranien entrés en vigueur en janvier 2016, n’a pas été à la hauteur de ce qu’attendait la population. A noter que, contrairement à 2009, les manifestants ne différencient plus les conservateurs et les réformistes. La révolte des œufs est brutalement réprimée. Plus de vingt personnes sont mortes dans des affrontements avec les forces de l’ordre. Des dizaines et des dizaines de manifestants ont été arrêtés 83.
Selon Vahid Yücesoy, « Le régime fait face à un réveil brutal : la perte du soutien des classes les plus démunies. […] La classe moyenne a boudé la révolte des œufs pour au moins deux raisons : premièrement, il semblait y avoir toujours une certaine confiance en la capacité du président Rohani de changer les choses ; deuxièmement, le contexte régional favorisait la popularité du récit selon lequel l’Iran deviendrait une autre Syrie à la suite du renversement du régime. Cette peur a contribué à la réticence de la classe moyenne à participer à la révolte des œufs » 84.
15 novembre 2019 : émeutes à la suite de la hausse du prix de l’essence ou manifestations d’Aban
Au lendemain du triplement du prix de l’essence par le gouvernement de Rohani, des dizaines de milliers de personnes manifestent dans le pays. Très vite, la contestation gagne la capitale. Les manifestants prennent pour cible la République islamique et ses plus hauts dignitaires. Les manifestants sont principalement des personnes sans emploi ou des travailleurs pauvres occupant des emplois précaires. Les vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des Iraniens brûlant le portrait du guide suprême. L’accès à internet est coupé. La première vague de manifestations est associée à des émeutes : des membres des forces de l’ordre sont tués et de nombreux bâtiments sont incendiés. La répression est d’une ampleur inédite sous la République islamique. Une enquête de l’agence Reuters fait état d’environ 1 500 personnes tuées. Cette émeute intervient après plusieurs années de crise économique. En 2018, le retrait des États-Unis de l’accord sur le programme nucléaire iranien, qualifié de « désastreux » par Donald Trump, annihile les espoirs de changement 85.
« Face au durcissement des sanctions imposées à l’Iran par Donald Trump, les Iraniens étranglés économiquement le maudissent, et désespèrent autant de l’incurie structurelle du régime que de la corruption endémique des gouvernements qui se succèdent. Ils se révoltent contre Ali Khamenei qui dilapide leur argent pour soutenir ses affidés du Hezbollah ou du Djihad islamique » 86.
Pour Vahid Yücesoy, « Les manifestations de 2019 ont révélé que le régime avait perdu les classes les plus démunies. Autrement dit, ses capacités économique et idéologique à fidéliser sa base de soutien étaient mises à mal » 87.
Entre 2009 et 2022, un changement fondamental advient en Iran. En 2009, le pouvoir possédait encore une soupçon de légitimité auprès d’une partie de la population qui le pensait capable d’évoluer. Mais, depuis le second mandat contesté d’Ahmadinejad en 2009, « le processus de radicalisation de la République islamique a commencé » explique Marie Ladier-Fouladi 88. Le pouvoir a compris que sa légitimité avait été mise en cause. Il planifie un projet de domination globale incluant quatre axes :
Le premier a un caractère nataliste et « populationniste » se voulant une atteinte à la maîtrise de la fécondité des femmes, au contrôle de leur corps, concomitant à l’instauration d’un dialogue égalitaire et respectueux au sein du couple et entre les parents et les enfants. Le régime souhaite que l’Iran ait une population de 150 millions d’habitants.
Le second possède une dimension économique. Afin de transformer tous les citoyens en sujets assistés et redevables à l’État, le pouvoir décide que la redistribution de la rente pétrolière profitera à tout le monde, et non pas à une petite partie de la population comme initialement décidé.
Le troisième revêt un aspect culturel par la mise en place d’un ordre moral islamique en passant par l’observance de règles de plus en plus répressives sur le port du voile, et la volonté de dénuer aux étudiants tout esprit critique par la voie de la refonte complète du système éducatif, des programmes et des manuels scolaires.
Le quatrième recouvre une nature politique avec la conception d’une nouvelle identité nationale iranienne, islamique et révolutionnaire. De quoi justifier l’assassinat de citoyens iraniens qui ne remplissaient pas ces critères lors des différents mouvements de protestation et faisaient donc figures d’ennemis.
« Dans ce contexte d’oppression totale, à partir de 2015, avec la crise économique et financière, on ne remarque aucune opposition politique, mais on voit émerger des mouvements sociaux avec des revendications économiques. […] C’était sans compter sur l’apparition « d’une nouvelle génération, porteuse d’un rapport au monde différent de ses aînés, et prête à s’opposer frontalement à la domination du régime » 89.
Farhad Khosrokhavar estime que Le mouvement « Femme, vie, liberté » a fait renaître un processus démocratique, et a remis sur le devant de la scène des revendications autres que purement économiques. Les femmes et les hommes de la société civile ont remis en cause l’hégémonie d’un pouvoir vécu comme illégitime 90.
Selon Azadeh Thiriez-Arjangi, Vice-présidente du conseil scientifique du Fonds Ricœur : « Le sujet capable de révolution se retrouve pris dans un rapport où le transcendant lui dérobe son autonomie. Il refuse donc ce qu’on peut désormais qualifier de totalitarisme religieux. Depuis la révolution islamique, le pouvoir s’est montré tantôt conservateur, tantôt réformateur ; il a joué le jeu de l’ouverture au monde ou s’est enfermé sur lui-même. Mais il n’a jamais abandonné l’idée de l’ennemi, qui légitime l’usage immodéré de la violence et de la répression. L’extrême violence de la République islamique a conduit la population à un point de non-retour, proclamant haut et fort que l’Iran et le régime islamique ne sont plus compatibles. La patrie n’a plus d’État et l’État fait la guerre à sa population. […] Sortir du totalitarisme implique de mettre fin à la violence. « Le slogan « Femme, vie, liberté » rappelle que le corps des femmes, qui portent la vie en elles, résiste à toute forme d’anéantissement, inspire la liberté » 91 et incarne une résistance, une renaissance rendant possible un monde non totalitaire.
Les raisons factuelles du mouvement
« Tout d’abord, j’aimerais faire le point sur les évènements de ces derniers jours. Cet incident, le décès de cette jeune fille est un évènement regrettable qui blesse nos cœurs. Cet incident, aussi regrettable soit-il, ne justifie pas qu’on prenne nos rues d’assaut. Ces perturbateurs sont les ennemis de la République islamique, des ennemis de l’Iran lui-même » 92. Discours du Guide suprême
Les raisons « objectives » de ce mouvement ne sont pas du fait des ennemis de l’Iran, mais de ses dirigeants, contrairement à ce qu’avance le Guide suprême dans ses déclarations. Nous pouvons évoquer un pouvoir de plus en plus répressif, une corruption endémique au sein du régime, l’accroissement de la pauvreté, l’isolement de l’Iran sur la scène internationale, la mauvaise gestion économique et les répercussions des sanctions liées au programme nucléaire, un taux d’inflation très élevé et l’effondrement du rial iranien, le chômage croissant des jeunes, l’application de clauses restrictives sur la vente de pétrole et la catastrophe écologique.
La fermeture du système politique et l’élimination des réformistes
Vahid Yücesoy estime que « La théocratie a perdu la bataille idéologique au fur et à mesure que les promesses de réformes démocratiques au sein du système ne se sont pas réalisées, laissant dans son sillage une population désenchantée » 93. Un pouvoir, qui, comme on l’a vu ci-dessus, a développé un projet de domination globale de sa population.
De longues années de corruption au sein de l’élite
Le leader est à la fois « volonté faite pouvoir » et chef d’un État-cartel, composé de strates militaires, paramilitaires et sécuritaires, de fonctionnaires de haut-rang, de notables politiques qui évoluent dans une concurrence féroce, et d’une bourgeoisie qui forme, pour sa plus haute part, une « haute kleptocratie » 94. Les passe-droits, le clientélisme, le bakchich et la corruption généralisée ont permis aux riches du régime de s’enrichir de façon indécente 95. Selon l’écrivain Ramin Parham, le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), « mafia du pouvoir et de la richesse », incarne le pourrissement « de la théocratie en voyoucratie » 96.
L’accroissement de la pauvreté
La population souffre de l’inflation et du chômage. Entre 50 et 80% de la population iranienne vit sous le seuil de pauvreté selon les normes internationales des Nations Unies, alors que l’Iran a la quatrième réserve de pétrole et la deuxième réserve de gaz au monde. « Les classes moyennes sont de plus en plus écrasées depuis une quinzaine d’années et sont en voie de prolétarisation » 97. La sociologue Azadeh Kian explique cette situation : « La majeure partie du budget de l’État, de ses revenus pétroliers sont accordés aux Gardiens de la Révolution, à l’armée, à la police et ensuite aux écoles religieuses qui sont les appareils de régime. Très peu de ce budget est attribué aux secteurs de la santé ou de l’éducation. Raison pour laquelle la population s’appauvrit de plus en plus et que le mécontentement est grand, y compris au sein des classes défavorisées qui, auparavant, étaient aidées ou assistées par le régime et qui, en contrepartie, le soutenaient au moins en allant voter pour les candidats conservateurs » 98.
L’isolement de l’Iran sur la scène internationale
« Au niveau international, on remarque la constante dégradation de la situation de l’Iran qui n’a pratiquement plus d’amis, sauf la Syrie, le Hezbollah libanais et quelquefois des pays qui sont en rupture de ban avec la société internationale, et de plus en plus la Russie, qui trouve en Iran un allié sûr qui l’aide avec ses drones à bombarder l’Ukraine, bref l’alliance de deux parias », constate Farhad Khosrokhavar 99. L’Iran apparaît comme l’un des perdants des importantes évolutions géopolitiques que connaît le Moyen-Orient, renchérit Héloïse Fayet, chercheuse à l’Ifri en octobre 2022. Normalisation des relations entre Israël et certains pays du Golfe au travers des accords d’Abraham, retrait américain d’Afghanistan, diminution progressive de l’empreinte de la coalition contre Daech en Irak et en Syrie. Par ailleurs, la République islamique rencontre des difficultés à contrôler durablement ses proxys, notamment en raison d’une contestation sociale grandissante contre son influence. Les négociations sur le programme nucléaire iranien et les discussions entre les rivaux iraniens et saoudiens patinent. « De ce fait, l’Iran regarde désormais à l’Est, et en particulier vers la Chine » 100.
La mauvaise gestion économique et les répercussions des sanctions liées au programme nucléaire
« L’économie iranienne, qui est qualifiée d’économie de rente et mafieuse par de nombreux économistes iraniens, est complètement paralysée par la corruption et l’incompétence des dirigeants, d’un côté, et par les sanctions internationales, de l’autre. » observait Farid Vahid plus récemment. Alors que l’Iran avait connu une hausse spectaculaire de son PIB en 2016 (13,4%) à la suite de l’accord nucléaire (JCPOA), le pays a enchaîné deux années de récession catastrophique en 2018 (-6%) et 2019 (-6,8%) après la sortie des États-Unis du JCPOA. La pandémie de Covid-19 a eu également des effets néfastes sur l’économie iranienne 101.
Un taux d’inflation très élevé et l’effondrement du rial iranien
Hamid Enayat, politologue et spécialiste de l’Iran, écrit : « L’inflation galopante et l’effondrement dramatique du rial ne se limitent plus à ruiner les conditions de vie des Iraniens : ils ébranlent désormais les fondations mêmes du régime. À l’origine de cette crise profonde, on retrouve les politiques agressives du pouvoir. […] Ces choix ont provoqué l’érosion constante de la monnaie nationale et l’explosion de la pauvreté. L’inflation, entretenue de manière chronique, est aujourd’hui l’un des principaux moteurs de l’instabilité. Elle signifie dévalorisation du rial, chute du pouvoir d’achat et généralisation de la misère. Le régime, malgré ses déclarations officielles, tire profit de ce désordre économique pour intensifier le pillage des richesses et soutenir ses ambitions militaires » 102.
Le chômage croissant des jeunes
En 2021, le chômage a atteint 23,7 % pour les personnes ayant entre 15 et 24 ans 103.
L’application de clauses restrictives sur la vente de pétrole
Mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, EUR-Lex
La catastrophe environnementale
Sur le plan écologique, c’est la catastrophe. Le régime n’a rien fait pour atténuer les rigueurs du réchauffement climatique. « Alors qu’une partie du territoire est constituée de plaines arides en proie à un climat semi-désertique, le Corps des Gardiens de la Révolution islamique, qui a la main mise sur plus de 60% de l’économie, a permis la construction de nombreux barrages en contrepartie d’importants dessous de table », explique Emmanuel Razavi, grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient. À cela s’ajoutent le mauvais état du réseau de traitement des eaux usées et le réchauffement climatique. Résultat de cette politique mafieuse déconnectée des problématiques environnementales : deux tiers du pays sont en situation de stress hydrique et dans certaines provinces, des populations entières n’ont plus accès à l’eau potable » 104.
Vahid Yücesoy relève : « Aujourd’hui, le régime a perdu ses capacités idéologique et économique auprès de la population iranienne : il ne lui reste plus que sa capacité coercitive pour régner » 105.
Un slogan

Le slogan « Femme, Vie, Liberté ! » est inspiré de l’idéologie d’Abdullah Öcalan, fondateur en 1978 du PKK, un parti possédant une « capacité à faire évoluer sa doctrine au rythme des mutations sociétales ». Il adoptera ainsi très vite des revendications féministes. Abdullah Öcalan élaborera une « science de la femme », la « Jineolojî ». Pour lui, le développement d’une vie libre ne va pas sans la liberté de la femme. « Femme, Vie, Liberté ! » est scandé pour la première fois le 8 mars 2006 lors de différents rassemblements organisés par des femmes kurdes en Turquie à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes 106.
Ce slogan fut chanté à Marivan lors des funérailles de Sheler Rassouli, relate Chowra Makaremi dans son ouvrage « Femme ! Vie ! Liberté ! ». Cette jeune femme s’était jetée dans le vide pour échapper à l’agression d’un voisin qui l’avait séquestrée durant l’absence de son mari. La colère des femmes kurdes avait deux causes : l’agresseur était un employé des services de renseignement, et « des femmes politiques conservatrices avait célébré l’héroïsme avec lequel elle avait sacrifié sa vie pour sauver sa vertu ». […] Contre cette violence à la fois étatique et culturelle, le slogan Jin Jian Azadi rappelait à Marivan que la mort de Sheler n’était pas un fait divers mais une mort politique, et que la contestation de la domination d’État passait désormais au Kurdistan par les luttes des femmes » 107.
Le mot jin signifie à la fois « femme » et vient de la racine jiyan, signifiant « vie ». Jina Mahsa Amini portait en elle deux racines d’un slogan que « Les Iraniens se sont réappropriés. Traduit en persan « Zan, Zendegi, Azadi » offrait un outil aux Iraniens et Iraniennes pour renverser chaque terme de la domination subie » 108.
La romancière Sorour Kasmaï explique : « Ce mouvement « Femme, Vie, Liberté » qui porte ce slogan est non seulement la négation du fond idéologique de ce régime présent depuis 43 ans, mais c’est également tout un manifeste sur cet avenir dans lequel on voulait se projeter. Et pourquoi « « Femme, vie, liberté » ?
Femme : parce que ça a été l’objet de la haine de ce régime dès le premier jour de son règne, c’est-à-dire la toute première loi qu’a fait passer l’ayatollah Khomeiny, c’était sur le voile obligatoire. Donc du jour au lendemain, les femmes perdaient une partie de leurs droits qu’elles avaient auparavant.
Vie : parce que […] cette théocratie militaire est la sœur jumelle de la mort. Depuis 43 ans, ils ont semé la mort.
Liberté : Parce que depuis 120 ans, c’est notre objectif, c’est l’objectif de tous les mouvements sociaux. Il y a eu plusieurs révolutions en Iran : 1906, etc. Et donc la liberté est le but de cette révolution qu’il y a en cours » 109.

Dimanche 18 septembre 2022, la première manifestation a lieu dans la grande ville kurde de Sanandaj, où plusieurs centaines de personnes se rassemblent le soir en soutien à Mahsa Amini. D’autres manifestations se déroulent ce soir-là dans des villes kurdes, telles Saqqez, Baneh, Boukan et Marivan.
Lundi 19 septembre, les manifestations touchent Téhéran dans la journée, puis de nombreuses villes entre mardi et mercredi : Racht, Ispahan, Mashhad , Baneh, Divandareh, et des dizaines d’autres villes. « A Téhéran, les étudiants défilent avec des pancartes à l’effigie de Mahsa et scandent « Femme, Vie, Liberté » 110.

Cette carte permet de constater que si le mouvement est très dispersé, géographiquement, il l’est également socialement et démographiquement. « Des manifestations ont eu lieu dans des villes habituellement très paisibles, comme dans l’île de Kish par exemple (station balnéaire du Golfe persique). Dans les grandes villes, ce ne sont pas uniquement les quartiers étudiants et politisés qui sont mobilisés, mais la plupart des quartiers, de façon décentralisée, ce qui leur permet de plus aisément déborder les forces de police. Il semblerait également que le mouvement touche des populations de différentes classes sociales, mais aussi de tous les âges – des personnes âgées se joignant également aux manifestations » 111.
Marie Ladier-Fouladi note : « le mouvement de 2022 est un mouvement révolutionnaire qui se distingue véritablement dans sa forme, dans sa composition des autres révoltes ou soulèvements qu’on a pu noter au cours de ces 40 dernières années. Avec le mouvement actuel, vous avez d’abord le slogan « Femme, Vie, Liberté » et non « Où est mon salaire ? » 112.
La dimension ethnique de l’insurrection

Des portraits des ayatollahs et des généraux des Gardiens de la révolution sont brûlés dans toutes les régions. La foule scande des slogans tels que « De Zahedan au Kurdistan, ma vie, je la sacrifie à l’Iran » et « Kurdistan, Zahedan, les yeux et la lumière de l’Iran ». Le sociologue Farhad Khosrokhavar souligne : « Ce mouvement montre qu’il y a une nouvelle forme d’ethnicité que j’appelle la néoethnicité iranienne, fondée sur l’unité profonde de la société civile. Par exemple, dans les manifestations, les jeunes disent « les Kurdes sont la prunelle de nos yeux ». Les Kurdes disent pour leur part : « Avec toute la société iranienne, nous allons reprendre possession de l’Iran contre le pouvoir ». […] Le régime répressif essaye pourtant de créer des divisions entre ces ethnies. En effet, le pouvoir est beaucoup plus brutal contre les ethnies, que ce soit par exemple à Zâhédân du côté des Baloutches, et dans des villes comme Saqqez du côté kurde » 113.
« Quand je voyais toutes ces vidéos où l’on pouvait entendre « le Baloutchistan est la prunelle de nos yeux » scandé par des Kurdes, des habitants de Téhéran, de partout en Iran, j’en avais les larmes aux yeux. Enfin l’Iran ne considérait plus le Baloutchistan comme son enfant bâtard. C’était très émouvant. » Témoigne une jeune femme baloutche 114.
Une lecture des évènements uniquement axée sur la condition des femmes et leurs revendications, aussi essentielle soit-elle, semble réductrice. L’analyse du mouvement doit prendre en compte sa dimension ethnique, en faisant attention cependant aux lectures trop essentialistes, avertit le journaliste Maxime Delavar : « Un Kurde de Téhéran ne vit pas la même réalité qu’un Kurde de Marivan, ville moyenne du Kurdistan iranien. Un Kurde chiite de Kermanchah, au pied des monts Zagros, diffère beaucoup d’un sunnite de Javanroud, à 80 kilomètres plus au nord. Un Kurde issu de la classe moyenne n’a absolument rien à voir avec un portefaix du bazar » 115.
Une des grilles d’analyse de cette insurrection réside dans le féminisme intersectionnel. Chowra Makeremi explique : « Grâce au féminisme intersectionnel, on comprend que les Iraniennes pâtissent d’une citoyenneté de seconde zone qui a été créée juridiquement et constitutionnellement, qu’elles vivent – et elles en ont bien conscience – dans une société où il existe des hiérarchies dans le droit civil et politique. Les Iraniennes parlent d’ « apartheid de genre ». Ces hiérarchisations s’appliquent également aux minorités via des discriminations économiques et sociales, qui s’accompagnent d’une violence d’État. Il existe de nombreuses similitudes dans la violence contre les femmes et dans la violence contre les minorités (contrôle des corps, des mouvements, réduction des droits, etc.). L’État iranien est en effet très dur avec les minorités kurdes, azéries, baloutches, baha’ies, mais aussi les réfugiés afghans qui ne peuvent pas travailler, aller à l’école, accéder à un logement, et subissent un racisme ordinaire très violent » 116.
Le mouvement de contestation déclenché par le décès tragique de Jina Mahsa Amini, une kurde sunnite originaire de la ville de Saqqez, le 16 septembre 2022 s’est surtout étendu dans le Kurdistan iranien, relais de la rébellion. « Les partis opposants kurdes ont appelé les villes du Kurdistan iranien à participer à la grève générale. Ce qui a été suivi le 17 septembre par les commerçants et les habitants de Saqqez, ville natale de Mehsa Amini et qui a été poursuivi dans certaines petites et grandes villes de la région. Des centaines de personnes ont assisté à l’enterrement de la jeune femme, et un acte protestataire s’est levé lors de la cérémonie de funérailles » 117. Cette situation ne doit rien au hasard, analyse David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’ IRIS 118. En effet, cette région située au Nord-Ouest de l’Iran est en dissidence depuis le début du 20ème siècle. Car, malgré un discours officiel de tolérance à l’endroit des minorités iraniennes, les Kurdes subissent discriminations, persécutions et violences endémiques émanant notamment des Gardiens de la Révolution (Pasdarans). Une situation similaire à celle du Sistan-Baloutchistan, région située au Sud-Est de l’Iran, dans laquelle l’opposition au régime iranien dure au moins depuis les attentats du 11 septembre 2001, le pouvoir iranien n’ayant pas hésité à accepter des militants d’al-Qaïda sur son sol. « La contestation après la mort de Mahsa Amini a ravivé la révolte dans cette région, et l’a fait évoluer. Au début du mouvement, il n’y avait pas de femmes dans les protestations, mais au fil des mois, elles sont de plus en plus nombreuses à descendre dans la rue. En parallèle, la demande de sécularisation de la société iranienne dans son ensemble s’y exprime désormais ouvertement. » constate Hamit Bozarslan, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales 119.
Le 30 septembre 2022, le viol d’une adolescente de 15 ans issue de la minorité sunnite baloutche, perpétré par le chef de la police de Chabahar, est à l’origine d’une manifestation dans la ville de Zahedan, « un vendredi sanglant ». Cette dernière est effectivement réprimée dans le sang. Selon l’ONG norvégienne Iran Human Rights (IHR), 93 personnes, dont des femmes et des enfants, sont tuées à Zahedan ce jour-là. D’autres données émanant de cette ONG permettent de constater que les provinces ethno-confessionnelles périphériques du pays paient un lourd tribut. « Le pouvoir central a la hantise d’une dynamique centrifuge censée, dans le discours du régime, être instrumentalisée de l’extérieur. » précise le chercheur David Rigoulet-Roze 120.
Les quatre ensembles composant l’Iran sont :
– Le groupe des persanophones, dont les plus grands représentants sont les Persans, les Kurdes, suivis par les Guilakis, les Manzadaranais, les Lors, les Baloutches, etc.
– Le groupe des turcophones : les Azéris, les Turkmènes, les QashqâIs.
– Les groupes sémitiques : les Arabes, les Assyriens.
– Les Géorgiens, les Juifs, les Arméniens 121.
La République islamique a reproduit le schéma du pouvoir des « Persans » au dépens des minorités « ethniques ». En effet,« cette question « ethno-confessionnelle » demeure […] une variable non-négligeable de la problématique étatique iranienne, et ce, quel que soit le régime en place » 122. Le 21 mars 1935, sous le règne de Reza Shah Pahlavi, la Perse devient l’« Iran », son nom officiel étant l’État impérial d’Iran, et ce jusqu’à l’avènement de la République islamique d’Iran en 1979. Selon Jean-Paul Burdy, « il s’agissait de renforcer une identité nationale iranienne susceptible d’englober la totalité des populations dans leur diversité ethnique, linguistique et religieuse » 123. Mohammad Reza Pahlavi, le dernier Shah a réprimé l’agitation kurde en accord avec la politique turque en la matière, en « iranisant » les patronymes et toponymes » 124. Reza Shah Pahlavi et Mohammad Reza Pahlavi considéraient que la structure de l’Etat-nation à l’Européenne était garante de la modernisation du pays.
Cette tendance intégratrice s’accompagne, certes de résistances, le séparatisme kurde en est un exemple, mais aussi de réussites paradoxales… En effet, lors de la Révolution de 1979, « pour la première fois, un sentiment de destin commun se manifeste et une volonté de changement est exprimée » 125. Saddam Hussein en 1980, au début de la guerre Iran-Irak, compte sur une faible résistance des Arabes de Khûzistan. A sa grande surprise, ces derniers font montre d’un très grand patriotisme, et mettent à mal cette attaque surprise qui aurait pu couter cher à la toute récente République islamique.
« La révolution de 1979, par ses effets déstabilisateurs, a forcé le pouvoir à réinventer un équilibre du pouvoir en son sein même, tout en étant héritière du système administratif pré-révolutionnaire » constate David Rigoulet-Roze 126.
Pierre Emmery, Chargé d’études au Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF) observe que la constitution iranienne s’applique à prendre en compte l’ensemble des minorités : Son article 15 stipule que « le persan est le langage et l’écriture officielle de l’Iran (…) et que l’utilisation des langues régionales et tribales dans la presse et les médias, aussi bien que l’enseignement de leur littérature à l’école, est permis en plus du persan ». L’article 16 le complète en reconnaissant la place particulière de l’arabe : « Puisque le langage du Coran et des textes islamiques (…) est l’arabe, cette langue doit être enseignée (…) de l’école primaire jusqu’à la fin du lycée » 127. Le persan décrété langue nationale est, certes, très largement pratiquée. Cependant, dans certaines régions marquées par une forte identité ethno-culturelle, la plus grande partie de la population, insuffisamment alphabétisée, ne le comprend pas et parle sa langue maternelle 128.
Par ailleurs, les chrétiens arméniens, assyriens, juifs et zoroastriens disposent de cinq sièges au Parlement bien que représentant à peine 175 000 personnes sur 70 millions d’habitants. Alors que la minorité religieuse sunnite – près de 15% de la population iranienne – n’y siège pas 129. « Sous la République islamique, [les sunnites] ont vu la marginalisation dont ils faisaient l’objet s’institutionnaliser. Jadis fondée sur le sous-développement de leurs provinces, l’inégalité s’établit désormais sur des critères religieux ». […] Les lieux de culte sunnites sont formellement interdits, tout comme l’accès à l’ensemble des emplois publics ou gouvernementaux. Les membres de la minorité musulmane sunnite, vivant principalement dans des zones sous-développées, ont tendance à faire l’objet de discriminations sur leur lieu de travail et à être sous-représentés politiquement » 130.
Enfin, derniers éléments qui expliqueraient l’attitude du régime envers ces minorités : les préoccupations géostratégiques, et en premier lieu énergétiques.
Le phénomène minoritaire devient militant lorsqu’il n’est plus pris en compte par les institutions nationales. Ainsi, Geysari, juriste iranien, souligne-t-il que « les crises politiques de l’origine ethnique sont dues aux politiques centralisatrices au niveau du pouvoir central et non pas l’inverse, c’est-à-dire : les diversités ethniques ne sont pas la cause de la centralisation » 131.
L’historien et politiste Hamit Bozarslan attire notre attention sur l’une des spécificités du mouvement de 2022 : « Nous assistons à un phénomène lourd de sens : le Kurdistan se re-kurdistanise à l’échelle du Moyen-Orient, mais simultanément, il se ré-iranise à l’échelle de l’Iran. Dans le cas du Baloutchistan, c’est à peu près le même phénomène, les protestataires sont à la fois en train de se repenser comme Baloutches appartenant à une ethnie transfrontalière et à la fois comme Iraniens. Cette dynamique se renforce d’autant plus qu’il y a une réception positive de leurs révoltes du côté chiite persan. C’est la première fois depuis de longues décennies qu’on assiste à une telle réception positive, alors même que ces régions constituent les marches sunnites du pays » 132.
Ôter le voile : franchir une ligne rouge

Selon le sociologue Farhad Khosrokhavar, le Mouvement Mahsa a innové sur plusieurs plans. Par exemple :
Il a allié la liberté du corps à la liberté politique.
Il a […] révélé la sécularisation profonde des nouvelles générations pour qui la religion ne saurait dicter aux individus la conduite à tenir et à restreindre ses habitus vestimentaires (le rejet du voile obligatoire par les femmes) 133.
Le 21 septembre 2022, les femmes, assises sur une borne électrique en plein jour, « relèvent leurs cheveux au-dessus de leurs têtes, les tiennent d’une main et les coupent à grands coups de ciseaux de l’autre. Elles montent sur des poubelles têtes nues et lèvent leur voile dans leur poing. […] Elles dansent devant un feu, tournent sur elles-mêmes et jettent leurs voiles dans les flammes » 134.

Ces femmes qui dansent devant le feu avant de jeter leur voile a donné du crédit à ce que Chowra Makaremi considère être un contre-sens. En effet, la question n’est pas de porter le voile, mais l’obligation de le porter 135. Farhad Khosrokhavar souligne : « On voit très bien dans les manifestations que des femmes voilées accompagnent des femmes non voilées pour dénoncer cette contrainte qui consiste à dicter aux femmes leur attitude et leurs apprêts vestimentaires. […] comme Faezeh Hashémi, mise en prison pour ses prises de position contre le régime » 136.
Chowra Makaremi observe que dans le contexte iranien, le geste d’ôter le voile franchit des limites de plusieurs façons. Le voile est devenu le symbole de l’opposition frontale. Lorsque les hommes applaudissent les femmes quand elles enlèvent leur voile, ou bien leur crient « Vous êtes des femmes d’honneur », c’est très important. Car cette question de l’honneur est le fondement même de l’obligation de porter le voile. Par ailleurs, les femmes sont applaudies parce que les hommes ne possèdent pas, dans une très grande économie de symboles et de moyens, de façon de s’opposer frontalement au pouvoir contrairement aux femmes qui l’ont avec le voile 137.

Une jeune femme, de retour de Téhéran où elle n’était pas retournée depuis l’assassinat de Jina Mahsa Amini, a pu recueillir des témoignages d’hommes 138 :
« Monsieur, ça ne vous dérange pas toutes ces femmes découvertes ?» improvisé-je sous le coup du choc, me sentant déjà en minorité.
« Non Madame, pas du tout. Je les aime, je les encourage, je les soutiens, elles me fascinent. Je suis subjugué par leur force et leur courage. Après tout ce qu’il s’est passé, tout ce sang versé. Elles n’ont pas peur, elles n’ont pas froid aux yeux. Chacun doit être libre de faire ce qu’il veut.»
Moi, je viens d’un village. Là-bas chez moi, c’est pareil. Elles ont tout notre respect. Pourvu qu’ils laissent les gens tranquilles. »
« Monsieur, que pensez-vous de toutes ces femmes qui sortent ainsi ? »
« Ah ! Madame ! Mais elles sont si courageuses ! Nous, les hommes, nous les soutenons sans hésitation. Et n’allez pas penser que ça s’arrête aux confins de cette ville. Moi, je viens d’un village. Là-bas chez moi, c’est pareil. Elles ont tout notre respect. Pourvu qu’ils laissent les gens tranquilles. Il y a encore un mois et demi, nous, les chauffeurs de taxi, nous recevions des SMS nous priant poliment de demander à nos clientes de respecter le hijab. C’était affreux. Qui suis-je, moi, pour remettre à l’ordre une femme qui rentre dans mon taxi ? Vous imaginez ? C’était tellement embarrassant. Une fois, une jeune fille est montée et je lui ai expliqué qu’ils nous retirent notre permis de circulation s’ils nous attrapent avec leurs caméras chinoises. Que ma demande n’a rien à voir avec mes opinions personnelles. Elle a été coopérative, par gentillesse et compassion. Vous comprenez, j’ai une famille à nourrir moi ! »
« Ce voile signifie pour de nombreuses femmes une servitude humiliante vis-à-vis d’un pouvoir patriarcal qui entend les subjuguer au nom d’un islam théocratique. Il pointe du doigt un sentiment de dépossession de soi que la révolte brute et nue parvient à faire surmonter là où l’acte d’ôter le foulard remet frontalement en cause l’hégémonie illégitime du régime théocratique » 139. Elles franchissent ainsi l’une des deux lignes rouges immuables du régime car liée à la légitimité du pouvoir iranien, la deuxième étant la personne et la fonction du Guide suprême.
Dans son ouvrage L’Utopie sacrifiée, la sociologie de la révolution iranienne, Farhad Khosrokhavar évoque la situation instaurée après la révolution de 1979 où « tous les maux sont désormais imputés à la femme, à la femme mal voilée. Certains vont même jusqu’à identifier en elle la source du mal absolu. De nombreux sermons des mollahs ou exhortations moralisantes des Bassidj transforment en cette période la femme en objet d’anathème, en bouc émissaire ». Force est de constater que les femmes et les hommes de la troisième génération d’après 1979 enfreignent les lignes rouges ensemble. Ils sont « dans un rapport de coopération contre un ennemi commun qui est l’État théocratique, c’est-à-dire un État qui veut détruire la société au nom de principes islamiques de plus en plus rigidifiés, qui ne sont pas les principes traditionnels de l’islam mais frottés de ceux du totalitarisme moderne pour légitimer un État autocratique. » Serait-ce un refus commun de l’apartheid du genre, une résistance à la tradition familiale, à la désécularisation de la société par le régime islamique ? Assiste-t-on à l’annulation des effets de l’endoctrinement de l’école en Iran grâce à la socialisation de cette troisième génération avec la diaspora iranienne à l’étranger ? « Le système de l’éducation nationale a été bâti sur la destruction de l’image de la femme comme être autonome. Par conséquent, les jeunes filles et les femmes qui actuellement sont dans la rue avec de jeunes hommes sont celles qui étaient censées être endoctrinées par ce système fermé qui refuse l’indéniable modernité des jeunes femmes. » note Farhad Khosrokhavar 140. Les slogans « Femme, Vie, Liberté » et « Homme, Patrie, Prospérité » se répondent dans de nombreuses manifestations.
Le sentiment de de dépossession de soi évoqué auparavant est partagé par les jeunes hommes qui se montrent solidaires des femmes. Une solidarité dont la motivation n’est pas seulement la compassion, mais aussi le fait de ressentir par procuration le côté répressif, le fait que « l’État dispose du corps des femmes et, par extension [du leur] pour leur mise au pas sur la scène sociale au nom d’un Sacré répressif qui a perdu toute légitimité politique dans leur vécu subjectif, à savoir l’abnégation en martyrs » 141.

Ces jeunes femmes et ces jeunes hommes sont tout à fait conscients que la contrainte du voile doit être dénoncée comme « une atteinte à l’intégrité de l’individu, au déni de sa liberté fondamentale d’incarner son corps propre » 142.
Selon Chowra Makaremi « Le terme de « ligne rouge » est un terme qui vient de la société iranienne qui parle à tout le monde, qui n’a jamais vraiment été défini. La ligne rouge, ce n’est pas uniquement une limite, c’est un processus, c’est le pacte entre la société et l’État. Et ce processus par lequel être iranien, vivre en Iran signifie connaître toutes ces limites. Certaines lignes rouges sont mouvantes. C’est-à-dire, un jour la chose est une ligne rouge et le lendemain, elle ne l’est plus : par exemple fumer dans la rue pour une femme. Connaître les lignes rouges est un signe de socialisation, d’appartenance à cette société de l’intérieur, et comme elles bougent très rapidement, il y a toujours ce décalage » 143. Transgresser ces interdits signifie rejeter l’idéologie réformiste dont la vertu politique était la prudence et la capacité de manœuvrer entre ces lignes, et ainsi s’opposer au régime en prônant des valeurs négatives comme l’entêtement, la détermination, la revendication liées à la révolution 144. « Contrairement aux générations de leurs aînés, qui avaient choisi le cadre légal pour protester, la nouvelle génération a opté pour une opposition frontale, refusant d’entrer dans le jeu politique truqué de la République islamique » 145.
La joie ou Éros contre Thanatos
« [Le mouvement Mahsa] a inventé une forme de joie collective par la danse et diverses manifestations corporelles qui marque la rupture avec le côté martyriste et endeuillé de l’idéologie officielle de la République islamique » 146.
Cette transgression des interdits, cette opposition frontale s’effectuent dans la joie, en dansant. Ce sont des corps jeunes qui s’exposent. C’est une autre cassure avec la République islamique qui valorise les martyrs, le sacrifice, qui a pour socle une idéologie mortifère et qui fait émerger un corps révolutionnaire vieux. Une thanatocratie définie comme un système de domination masculine liée à la pulsion de mort, qui considère les Iraniens comme une armée et non pas comme un ensemble de citoyens. L’objectif de cette armée sacrificielle est de venger la mort de Hussein, le petit-fils du prophète tué à Karbala en 680. La République islamique d’Iran ne vit qu’à travers son devoir de vengeance eschatologique.
« La révolte invite la masculinité à se repenser à partir de ses potentialités, à partir de la joie et non plus à partir du devoir de deuil et de violence revancharde » 147.
Les petits-enfants des révolutionnaires de 1979 demandent aux générations précédentes de se libérer de son attache avec la pulsion de mort instituée par la République islamique.
Le martyr donnait un cadre au courage politique au moment de la Révolution islamique et même après. Cette lecture était partagée à la fois par la gauche et par les islamistes. Les principaux groupes de gauche s’appelaient « les sacrifiés du peuple ». Juste après la Révolution de 1979, les concepts de sacrifice et de martyr ont été réinvestis dans une lecture islamiste, fondamentaliste. La guerre avec l’Irak entre 1980 et 1988, responsable de 250 000 à 500 000 morts, n’a fait que renforcer ces notions. C’est cette culture du martyr que la jeune génération veut renverser. « On entend des condamnés à mort qui disent : Ne pleurez pas sur ma tombe. Mettez de la musique gaie. Dansez ! « 148.
« [Le mouvement Mahsa] a marqué de manière massive (et pas limitée à des groupes restreints d’intellectuelles ou de femmes engagées) l’irruption des femmes comme activistes sociales et politiques en tant que femmes et pas comme sœurs, épouses, mères ou nièces… » 149.
Par ailleurs, les femmes, n’étant en rien responsables du meurtre de Hussein à Karbala, n’ont donc pas à accomplir un devoir de vengeance eschatologique. […] Elles veulent être considérées comme des sujets politiques et faire partie d’une société de citoyens. « Au devoir de souffrance que le régime veut imposer, cette jeunesse féminine répond par la danse. Elle cherche à sortir du deuil pour entrer dans le régime de la joie » 150.
« En face de Thanatos, il y a Éros. La jeunesse iranienne, notamment féminine, oppose aujourd’hui la vie à la mort. » explique Hamit Bozarslan. L’éros ne saurait se réduire à l’érotisme ; c’est avant tout la vie, dans sa double dimension de liberté et de responsabilité. L’éros, c’est donc une manière d’être dans la joie qui consiste à accepter la vie avec la mort qui l’accompagne, mais sans penser cette dernière comme un régime de souffrance, comme un régime de sacrifice permanent. Les jeunes femmes iraniennes […] obligent […] les autres secteurs de la société à devenir libres, c’est-à-dire responsables de leur propre liberté » 151.
Le mouvement actuel, et c’est peut-être en cela qu’il se distingue des mouvements précédents, demande le droit, en particulier pour les femmes, de rire dans la rue, d’arrêter d’être invisibles, et d’espérer 152.
Portrait de la génération Z, une génération hyperconnectée
La forte réduction de la taille des familles, due à une importante baisse du taux de natalité intervenue après la Révolution de 1979, a eu pour conséquence un changement dans les rapports affectifs entre parents et enfants basés sur le respect mutuel et le dialogue. Dans un article publié en 2011, Marie Ladier-Fouladi parle d’une nouvelle jeunesse qui a adopté les principes de ce bouleversement « dans sa contestation politique, cherchant à initier un dialogue exigeant avec l’État islamique […] dont elle ne remettait pas en cause la légitimité intrinsèque, mais les pratiques et les normes. » Cette jeunesse profite des marges de liberté que leur accorde le régime à partir des années 1990, et c’est dans ce contexte que se tinrent les élections entre 1997 et 2001 gagnées par les réformateurs. Élections très suivies par la jeunesse. C’était sans compter sur le retour des fondamentalistes, arc boutés sur les principes érigés par la Révolution de 1979. Dépités par les réformateurs, les jeunes et les femmes délaissent le vote. C’est ainsi que Mahmoud Ahmadinejad gagna l’élection présidentielle de 2005. Cette élection eut pour résultat le durcissement de l’appareil répressif, des marges de liberté amoindries, l’instauration d’un ordre moral sévère et de multiples interdictions. Hostiles à cette politique, les jeunes créent un nouvel usage des espaces, public et privé. Ils font notamment d’Internet une sphère dans laquelle ils sont à même de s’exprimer ouvertement, de desserrer la bride gouvernementale et de faire connaitre leurs revendications. En dépit de la violence de la répression et des risques d’emprisonnement, les jeunes manifestent pour dénoncer un État islamique autoritaire et incriminer la politique menée par Ahmadinejad. « Le retour à l’absolutisme a scellé le divorce entre les jeunes et l’État islamique » 153.
Âgée de 12 à 24 ans, née entre 1998 et 2010, la génération « Femme, Vie, Liberté » est lasse de ne pas posséder le statut de citoyens et citoyennes à part entière, de voir sa dignité et sa subjectivité niées, ainsi que son désir d’évoluer dans une société plus laïque 154. Les jeunes parlent une langue étrangère, évoluent dans un monde virtuel. Les réseaux sociaux leur servent de lieu de socialisation, de partage, de créativité et d’ouverture au monde. Et en cela, ils sont très différents de leurs parents et leurs grands-parents. Pensant cette génération totalement dépolitisée, le Guide suprême ne l’a pas perçue comme une menace. Il ne la voyait que comme une manne économique, uniquement préoccupée par l’acquisition d’un téléphone portable et d’un accès à Internet. Il s’attendait à ce que les jeunes se comportent comme leurs parents. Mais « La génération Z ne passe pas son temps à « s’amuser » sur Internet ; elle s’informe et elle cherche pour apprendre. Les jeunes de cette génération développent ainsi un rapport compliqué avec l’autorité – que ce soit celle des parents, des instituteurs ou des professeurs. Cette génération « Femme, Vie, Liberté » a ainsi un problème avec l’autorité du Guide suprême en Iran » 155. Avec l’assassinat de Jina Mahsa Amini, les jeunes ont considéré que le régime avait commis l’inacceptable, et à l’opposé de leurs parents qui avaient opté de revendiquer dans la légalité, avec pour toute réponse la répression et l’emprisonnement, ils se dressent de plein fouet contre le régime, s’insurgent contre une existence basée sur l’hypocrisie et une complicité forcée avec un régime répressif, et ce depuis l’avènement de la République islamique en 1979. En effet, le système admet, jusqu’à un certain point, que les Iraniens sortent du cadre dans le cercle privé (jouer aux jeux de cartes, être entre amis sans voile pour les femmes, consommer de l’alcool, regarder la télé étrangère sur son antenne parabolique, etc.). En échange, le pouvoir impose à sa population qu’elle se plie strictement aux règles islamiques dans la sphère publique.
« Dans son Discours de la servitude volontaire (1576), La Boétie posait la question : comment en arrive-t-on à « supporter la tyrannie » quand la désobéissance est toujours possible ? Cette question est le pendant de celle que Machiavel pose dans son traité de gouvernement politique, Le Prince (1532) : comment gouverner et obtenir l’obéissance de ses sujets ? Comment la forme de gouvernement qu’est devenue la République islamique après 1989 se fonde-t-elle sur un rapport complexe de la société iranienne au projet de la République islamique, entre obéissance et adhésion ? » se demande Chowra Makaremi. Ce rapport compliqué s’explique par la violence post-révolutionnaire des années 1980 et la guerre, événements créateurs d’un sentiment d’adhésion nationale fort se basant sur le martyr et l’ennemi intérieur.
À partir des années 1990 surgit la figure du sujet-électeur, dont le régime s’est servi pour se présenter comme démocratique. Avec l’élection d’Ebrahim Raïssi en 2021, cette figure s’est effritée. L’avantage indéniable de la participation politique a été banni par le Guide suprême « défaisant la figure, pourtant fort utile au pouvoir lui-même et à son emprise sur le corps social, du sujet-électeur. Nous vivons aujourd’hui l’une des conséquences à moyen terme de cette rupture du pacte électoral, maintenu avec beaucoup de finesse, de ruse et d’intelligence durant plusieurs décennies. » Le mouvement « Femme, Vie, Liberté » est alimenté d’une re-subjectivation politique. Par ailleurs, il reconsidère notamment la misogynie et la xénophobie d’État. La phase insurrectionnelle du mouvement « Femme, Vie, Liberté » a produit un sujet révolutionnaire, un « nous » du peuple qui ne veut plus de l’ordre établi par la République islamique » 156.
La génération Z, en criant : « Nous nous sommes trompés/ Nous avons offert le pays sans arrière-pensée/ aux voleurs ! », accuse leurs grands-parents d’avoir été les pleutres ayant abandonné le pouvoir aux mains de Khomeyni. Un immense fossé entre les générations ! « Bref, ils dénoncent une vision religieuse rabat-joie qui les empêche d’exister en accord avec leurs aspirations les plus élémentaires, à savoir discuter, vivre ensemble et se mêler, filles et garçons, partager leurs expériences sans crainte de se voir arrêter par la police des mœurs. Ils entendent vivre leurs excitations et leurs désirs sans la barrière qui se nomme théocratie et qui est vécue sur le mode de l’absurde et de l’oppressif par l’immense majorité » 157.
Depuis le début de ce mouvement on entend : « Bravo les générations nées dans les années 2000 ». Cette jeunesse se reconnaît, s’identifie, revendique son appartenance à cette génération particulière : la génération Z, une génération hyperconnectée. Cette génération a évolué dans l’espace virtuel, un espace qui n’était pas contrôlé par l’État 158.
La connexion au monde extérieur est un enjeu majeur dans ce mouvement. « La génération Z en Iran a grandi avec les réseaux sociaux, elle sait ce qu’il se passe ailleurs pour les jeunes de leur âge, à Rio, Paris, Istanbul. Ça intéresse particulièrement les jeunes femmes, elles qui par exemple n’ont pas le droit d’aller au stade. Ça canalise la colère », analyse le journaliste Ershad Alijani ! » 159.
Pour contrôler ce mouvement révolutionnaire, contrairement à 2019 où Internet avait été coupé pendant une semaine, le régime ralentit les réseaux. En effet, même si le pays est en capacité de bloquer Internet, il n’a aucun intérêt à le faire. En effet, toute l’organisation de l’Iran passe par Internet, et il y a encore des entreprises qui travaillent avec des partenaires étrangers. Par ailleurs, beaucoup d’emplois se créent grâce à Internet et aux téléphones portables. Les retombées économiques seraient énormes. Le régime entrave donc le fonctionnement des réseaux, mais la génération Z maîtrise parfaitement le fonctionnement de cette technologie et réussit à contourner les difficultés grâce, entre autres, à l’aide de la diaspora iranienne qui envoie des modes d’emploi. « Mais, quand la censure est si forte qu’aucun outil, VPN et Tor compris, ne permet de la contourner, certains Iraniens optent pour la manœuvre physique. « Certains jeunes très habiles s’approchent des bâtiments publics pour se brancher de façon clandestine sur leur WiFi et relayer leurs images de la répression… Au péril de leur vie. » Car malgré tout, ajoute Mahnaz Shirali, « plus on en parle, plus on protège la population » 160. Ershad Alijani, quant à lui, constate que, depuis le début du ralentissement d’Internet, les vidéos sont plus courtes. « Avant, on pouvait avoir des vidéos d’une ou deux minutes. Mais les autorités ont tellement limité la vitesse que c’est maintenant des vidéos de 15-20 secondes. Il faut parfois jusqu’à 6 heures pour charger 30 secondes. […] Sans VPN, l’Iran devient la Corée du Nord, on ne sait vraiment plus rien ». Dans ce contexte, « le rôle des informaticiens à l’étranger est essentiel ». Beaucoup de VPN gratuits sont conçus à l’étranger, par des activistes et des organisations de défense des droits de l’Homme. Un autre moyen d’envoyer des images, c’est de passer par l’application de messagerie chiffrée Signal. L’application est interdite en Iran, mais Signal a publié sur son site un guide pour permettre à chaque personne qui s’y connait un peu en informatique de créer un serveur proxy de son application. » Certaines provinces, où la répression est féroce, sont particulièrement touchées par les coupures. C’est le cas au Baluchistan qui a subi deux jours de blocage total, mais aussi du Kurdistan » 161.
La peur effacée

« [Le mouvement Mahsa] a mis en acte l’affirmation de soi des classes moyennes dans leur jeunesse qui ont surmonté la peur face à un régime hyper-répressif et ont bravé pendant plusieurs mois les mises à mort des manifestants » 162.

« Cette joie-là vient casser la peur qui a été très longtemps un ciment qui a tenu la société iranienne, peur transmise de génération en génération », estime Chowra Makaremi 163. Propos conforté par Farhad Khosrokhavar qui constate : « [Ce mouvement] est porteur d’une énergie qui n’existait pas avant. Il relègue à l’arrière-plan la peur quotidienne. Celles et ceux qui se rassemblent dans les rues et sur les places démontrent leur courage, mais aussi leur exaltation d’être ensemble. Pour un bref moment, la peur de la répression disparaît » 164.

L’enjeu du pouvoir est de désamorcer ces émotions collectives. Il le fait en gardant le silence, engendrant ainsi un sentiment d’anxiété, d’angoisse et faisant monter la tension. C’est une technique de gouvernement par intimidation. « Les ONG parlent de 3000 personnes arrêtées, on ne sait pas par qui elles ont été arrêtées, on ne sait pas où elles ont été emmenées, et pour beaucoup, ce qu’il va leur arriver » 165.
L’actrice Golshifteh Farahani relate « La jeune génération, celle qu’on appelle génération Z, descend dans la rue, résiste avec courage de tout son cœur alors qu’elle va sciemment à la mort. C’est comme si elle disait « Donnez-moi la liberté ou tuez-moi ». Ma génération à moi, née après 79 pendant la guerre a été traumatisée. On a toujours peur. On a réussi à vivre librement mais cassés. On est la génération de l’underground. Tout était underground. On représente en quelque sorte les racines souterraines de cette nouvelle génération sortie de terre qui s’élance vers le ciel pour fleurir à l’air libre » 166.
La génération « Femme, Vie, Liberté » sait très bien comment fonctionnent l’État théocratique et sa répression. Les modes d’action des manifestants ont changé. Ils ont appris du mouvement vert de 2009, où des millions d’Iraniens s’étaient rassemblés dans les rues des grandes villes et avaient été encerclés par des cordons policiers. Ils optent donc pour une kyrielle de petites actions de proximité qui désarçonnent la police anti-émeute débordée. « Ils ont ainsi décidé de se rassembler en petits groupes, de faire des manifestations de courte durée, ou en plusieurs endroits différents, afin d’éviter la répression et de disperser les forces de l’ordre » 167.
Chowra Makaremi note : « Dans sa première phase, [l’insurrection] n’a connu ni de jours ni de nuits : de 17 heures jusqu’à tard dans la nuit, elle se déroulait dans la rue, souvent autour de feux de quartiers ; dès le petit matin avaient lieu les cérémonies de deuil du quarantième jour (chehlom) de manifestants tués ; en fin de matinée étaient organisées des manifestations d’associations de médecins et d’avocats (qui étaient souvent collectivement arrêtés par les forces de l’ordre) ; à partir de midi commençaient les manifestations, les flashmobs et les sit-in dans les universités… » 168.
La stratégie est de phagocyter les forces de répression et d’utiliser les pratiques de terreur du régime contre celui-ci : « L’intimidation par exposition ou identification, l’attaque des centres du Baddidj, empêcher les unités de se déplacer facilement, aller au corps-à-corps. […] Tout comme pour la peur, autre grande absente, l’enjeu est de ne pas laisser de prise aux techniques habituelles du pouvoir » 169.
Un bassidji témoigne : « Ils n’ont pas peur de l’affrontement. Ils résistent. Hier, à l’intersection des rues Sadi et Zahir-ul-Islam, on a été bloqués pendant une heure et demie. Je l’ai déjà dit à nos hommes. Avant, ils nous jetaient quelques cailloux et s’enfuyaient dès qu’on ripostait. Mais là, ils n’ont pas bougé. Pendant une heure. Ils résistent. Ils osent même nous jeter des pierres à la figure ! » 170
La répression

Ne faisant pas confiance aux forces armées de l’ancien régime impérial, Khomeiny ordonna, le 22 avril 1979 par décret adressé au Conseil de la révolution islamique, la formation du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI), une nouvelle armée « révolutionnaire » et « idéologique ». Constitué de cinq forces navale, terrestre, aérienne, paramilitaire basiji et force spéciale al-Qods, le Sepâh-e pâsdârân (le premier terme signifiant « armée » en persan) est la garde du régime. Selon le Centre de Documentation de la Révolution Islamique, ce corps était à l’origine chargé exclusivement de défendre l’ordre public « face à la contre-révolution et aux monâfeqin (hypocrites) et autres infidèles qui « dissimulent le blasphème et arborent une [fausse] foi ». Mais avec le développement de la guerre civile dans certaines provinces périphériques, le CGRI « jouera un rôle très actif dans la répression de la contre-révolution, en particulier au Kurdistan », mais aussi « au Khouzistan et au Turkménistan » 171.
Mohsen Sazegara, opposant politique exilé aux USA, a participé à l’écriture de la charte des gardiens de la Révolution. Il explique : « La machine de répression de la République islamique s’articule autour de quatre éléments : la tête pensante, c’est le ministère des renseignements et l’organisation du renseignement du corps des gardiens de la Révolution islamique. Le deuxième élément de cette machine répressive, c’est la police. Le troisième élément, ce sont les bassidji, tout simplement des volontaires. Ce sont les miliciens des gardiens de la Révolution. Le quatrième et dernier élément, c’est le corps des gardiens de la Révolution islamique. Le commandement de cette gigantesque machine de répression se trouve au quartier général du Guide suprême.
Le Guide suprême est au sommet de la pyramide. Il détient à lui seul plus de 80% du pouvoir. Il est considéré comme le représentant de Dieu sur terre. C’est lui qui nomme le chef du pouvoir judiciaire, et ce dernier nomme tous les procureurs et tous les juges. Le Guide suprême choisit aussi les membres du Conseil des gardiens. Il a une mainmise totale sur les élections parce que chaque candidat doit être adoubé par le Conseil des gardiens, et c’est aussi le Guide qui désigne le directeur de la radio et de la télévision nationale » 172.
Depuis septembre 2022, la répression est surtout l’oeuvre des bassidjis. On en dénombre un million environ. Ils sont, pour la plupart, issus de milieux assez modestes, assez populaires. Sous le contrôle des gardiens de la révolution, ils possèdent cependant une organisation autonome. Les forces de police et les policiers en civil participent également à la répression. Les bassidji sont les jeunes des quartiers, ils se regroupent et se reconnaissent. Ils sont connus des gens des autres quartiers. Ils risquent donc de se retrouver en face de leurs voisins et selon Marie Ladier-Fouladi « ça va être assez compliqué pour eux de réprimer » 173.
Les basiji sont qualifiés par Ramin Parham, de « forces irrégulières formées de voyous et de vauriens ». Leur terreau périurbain se trouve dans les maisons de la force, gymnases traditionnels et dans le Rungis de Téhéran. Les liens entre le « milieu » et une partie du clergé sont anciens. […] Fondée par décret de Khomeyni le 26 novembre 1979, la milice paramilitaire des basiji (mobilisés) devait constituer le noyau d’une « armée de vingt millions » de volontaires. « Un pays qui a vingt millions de jeunes doit disposer d’une armée de vingt millions [de soldats] », expliquait Khomeyni dans l’ordre exécutoire » 174.
Présents dans les écoles, les universités, les usines, les agences gouvernementales et le secteur privé, les étudiants bassidjis ont pour tâche principale d’enrôler les jeunes. Les enfants rallient différents groupes en fonction de leur âge. Pour faciliter le recrutement, les bassidjis mettent sur pied des concours scientifiques, des compétitions sportives, artistiques et culturelles, le tout avec une bonne dose d’idéologie officielle. Ils ne se limitent plus à l’entraînement au maniement des armes. « En mars dernier, des milliers de jeunes filles bassidjis se sont réunies pour demander des actions contre les filles qui portent mal le voile islamique » 175.
Chowra Makaremi explique que, pour asseoir son pouvoir, l’État iranien s’appuie sur trois niveaux de violence : la violence légale, celle de l’armée, de la police et des tribunaux, la violence extra légale, celle des miliciens du Hezbollah par exemple, et une violence paralégale, celle des Basij. Le pouvoir peut être légal, et tout ce qui est de l’ordre de la terreur est sous-traité par des milices au secret. Et c’est exactement ce qui s’est passé avec l’empoisonnement des lycéennes et des collégiennes à partir de novembre 2022. Une façon de punir et de terroriser celles qui étaient les visages du mouvement « Femme, Vie, Liberté », qui faisaient des doigts d’honneur aux portraits de l’ayatollah dans leur salle de classe, ou qui poursuivaient le surveillant général et le chassaient de leur école. Alors que ces images faisaient le tour du monde et que la révolte était à son comble, 18 écolières à Qom ont dû être transportées à l’hôpital avec des vomissements et des maux de tête, sans qu’on sache ce qui s’était passé. Depuis, il y a eu une cinquantaine d’autres écoles qui ont été touchées, selon la BBC. Officiellement, personne ne sait ce qui cause ces empoisonnements. Mais il est impossible de s’introduire dans les écoles sans la complicité de ceux qui les surveillent.
Cette question des lycéennes permet de comprendre les mécanismes d’une violence extralégale de l’empoisonnement, d’une violence paralégale de la surveillance des Basij et de la répression. Et puis, la violence légale, ou en tout cas l’ordre légal de l’État qui dit n’avoir aucun lien avec ces évènements mais, qui commissionne un rapport d’enquête et en tire un bénéfice, puisque son ordre se fonde sur la terreur suscitée par ces empoisonnements 176.

Stéphane Dudoignon relate que « Début octobre, un mème s’est mis à circuler sur les réseaux sociaux iraniens, vite relayé par un site international de partage de vidéos. On y voyait, entre autres, un sous-officier de l’Armée de terre, dans son uniforme distinctif mais anonymisé et à visage couvert, interpeler les Gardiens de la révolution et leur corps dit des « Mobilisés » (Bassidjis), en charge de la surveillance locale des populations. « Stop, stop, stop ! » (ist, ist, ist !), criait presque le sous-off. « Gare à vous si vous massacrez les Iraniens ! » (Khak bar saret, nakosh mellat-e Iranra !) En poursuivant : « Nous, on consigne tout, tout est enregistré. Et on va venir vous chercher ! Alors, pas de coups, et pas d’assassinat ! L’Armée ne tire que trois coups de semonce : stop, stop et stop. Au quatrième, nous, on tire. Vive l’Iran ! » L’appel exprimait explicitement la lassitude d’une partie de la base des forces armées conventionnelles, voire des forces de l’ordre, face au choix du tout-répressif fait par pouvoir » 177.
Durant les premiers mois de révolte, 522 personnes sont tuées dont 44 enfants. En décembre 2022, la République islamique joue son va-tout répressif. Les tribunaux des gardiens de la Révolution commencent à recourir à la peine de mort.
« Les chefs d’accusation utilisés sont tirés des mots du Coran, le livre saint des musulmans, explique Mohsen Sazegara. Les mots exacts veulent dire : Entrer en guerre contre Dieu » et signifient « Répandre la corruption sur terre ». Quand on est reconnu coupable de ces faits, la condamnation est la peine de mort. Donc, quand quelqu’un manifeste, le raisonnement qu’on lui oppose est simple : vous vous opposez au Gouvernement qui est de droit divin, vous vous opposez donc à Dieu. Voilà comment tombe la sentence capitale » 178.
En six mois, sept jeunes hommes engagés dans le mouvement « Femme, Vie, Liberté » sont pendus.
Selon Golshifteh Farahani, « ces exécutions, c’est un peu comme si on voulait entrer dans une eau qu’on sait glaciale. On y trempe juste la pointe des pieds. Je crois qu’ils ont voulu voir jusqu’où ils pouvaient aller, et ils ont vu qu’ils ne pouvaient pas s’engager trop loin dans cette voie, sinon ils auraient dû exécuter des centaines de personnes » 179.
Chirine Ardakani explique, à propos de la peine de prononcée à l’encontre du rappeur Toomaj Salehi, que de tout temps la République islamique a utilisé ce châtiment inhumain et cruel pour mater la dissidence politique. Là, cette tradition de pendaison est plus spectaculaire parce qu’effectivement, ce sont de très jeunes gens souvent issus de milieux très populaires. C’est le cas du rappeur Toomaj. Les autorités veulent terroriser la population, et elles ont réussi à calmer la mobilisation populaire. Cependant, on a vu beaucoup de femmes passer de la contestation ouverte à la désobéissance civile en refusant, par exemple, de se revoiler partout dans les villes du pays. « Mais, néanmoins, il faut se rappeler que jamais la République islamique ne lâchera sur le voile obligatoire. L’Ayatollah Khomeiny, le 3 avril dernier devant les dignitaires iraniens, a rappelé que le voile obligatoire était non négociable parce que c’est le fondement même de la religiosité de la théocratie iranienne. Et effectivement de nouveau dans les rues, la police des mœurs a repris en main la situation et on voit de nouveau que les femmes sont traquées depuis avril 2024 » 180.
Et maintenant ?
Après la mort accidentelle du président Ebrahim Raïssi, Massoud Pezechkian se présente à l’élection présidentielle anticipée de 2024. Élu en juillet, il promet des réformes en faveur des femmes, suscitant une attente prudente. Il dit vouloir « apaiser les tensions sociales » et « réduire les discriminations ». « L’élection en juillet 2024 du réformateur Massoud Pezeshkian à la présidentielle iranienne n’a rien changé. « Il n’a pas d’autonomie institutionnelle, il est à la main du guide suprême, on sait bien que c’est l’ayatollah Khamenei qui décide de tout », explique Chirinne Ardakani. 181«
Selon Mina Fahkavar, qui consacre sa thèse à la condition féminine en Iran, « la situation politique actuelle en Iran joue un rôle majeur dans l’accentuation des répressions envers les femmes, devenues la cible principale et prioritaire d’un système politique aux abois, un régime fragilisé qui cherche désespérément à restaurer son autorité en reprenant le contrôle des corps féminins, là où il l’a le plus spectaculairement perdu.
Depuis la révolte historique de 2022, portée par le slogan subversif « Femme, Vie, Liberté », les femmes iraniennes n’ont cessé de défier l’ordre patriarcal d’État. […] Le projet « Noor », présenté cyniquement comme un projet de moralisation et de sécurité à partir du mois d’avril 2024, constitue en réalité un projet de surveillance numérique généralisée et de contrôle algorithmique des femmes dans l’espace public. Mais cette répression d’État s’accompagne d’un phénomène parallèle tout aussi alarmant : l’augmentation vertigineuse des féminicides » 182.
En 2023, les manifestations dans la rue se raréfient, mais la colère de la population reste intacte. La résistance se manifeste désormais dans la vie quotidienne, notamment chez ces femmes qui sortent dans la rue sans foulard, malgré les intimidations et les amendes que le régime applique pour les dissuader, dansent dans leur voiture, parlent à visage découvert sur les réseaux sociaux. Ce sont des gestes simples, mais extraordinairement politiques. Mais de nombreuses étudiantes ont été interdites d’accès à leur université en raison du non-respect du port du voile. Les commerces qui acceptent les clientes non voilées risquent la fermeture. Les institutions et organisations gouvernementales refusent de servir les Iraniennes sans foulard. Une guerre de nerf permanente se joue. Or la lutte continue. Comme le disent certains : « Rien ne sera jamais comme avant » 183.
Et pour conclure, laissons la parole à Nargès Mohammadi : « Nous nous battons pour un changement historique, de la République islamique à un gouvernement laïc fondé sur les droits de l’homme et la démocratie. Poursuivons nos efforts. Que la résistance et la lutte soient associées à la joie de vivre et à l’amour. Restons debout, continuons le combat ! Un pas après l’autre. Soyons prêts pour les prochaines étapes » 184.
1 « Femme, Vie, Liberté ! » : des montagnes du Kurdistan aux rues de Téhéran, retour sur l’épopée d’un slogan révolutionnaire kurde historique / Emile Bouvier, Les Clés du Moyen-Orient, 20 octobre 2022
2 Audio. Femme, vie, liberté : chronique d’une révolution en Iran, L’Invité(e) des Matins d’été, France Culture, 17 août 2023, 39’
3 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
4 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
5 Normes vestimentaires et répression sociale en République islamique d’Iran / Ali Jafari in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, n° 28, 2011/2, p. 277-289
6 Audio. Femme, vie, liberté : chronique d’une révolution en Iran, L’Invité(e) des Matins d’été, France Culture, 17 août 2023, 39’
7 « Femme, Vie, Liberté ! » : des montagnes du Kurdistan aux rues de Téhéran, retour sur l’épopée d’un slogan révolutionnaire kurde historique / Emile Bouvier, Les Clés du Moyen-Orient, 20 octobre 2022
8 Iran : cinq questions sur la mort suspecte de Mahsa Amini, qui embrase le pays, franceinfo, 21 septembre 2022
9 Qu’est-il arrivé à Mahsa (Zhina) Amini ? Amnesty International, 15 septembre 2023
10 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
11 Iran : cinq questions sur la mort suspecte de Mahsa Amini, qui embrase le pays, franceinfo, 21 septembre 2022
12 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
13 Le réveil de la société civile iranienne / Sepideh Farkhondeh essayiste, Le Temps, 24 juillet 2023 (Abonné.es)
14 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
15 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
16 Hijab law in Iran over the decades : the continuing battle for reform / Sahar Maranlou , Lecturer, School of Law, University of Essex, The Conversation, 7 octobre 2022
17 Normes vestimentaires et répression sociale en République islamique d’Iran / Ali Jafari in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, n° 28, 2011/2, p. 277-289
18 Hijab law in Iran over the decades : the continuing battle for reform / Sahar Maranlou , Lecturer, School of Law, University of Essex, The Conversation, 7 octobre 2022
19 Normes vestimentaires et répression sociale en République islamique d’Iran / Ali Jafari in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, n° 28, 2011/2, p. 277-289
20 Port du voile en Iran : traquées et harcelées, les Iraniennes dans le viseur des autorités, Amnesty International, 19 mars 2024
21 Hijab law in Iran over the decades : the continuing battle for reform / Sahar Maranlou , Lecturer, School of Law, University of Essex, The Conversation, 7 octobre 2022
22 Audio. Femme, vie, liberté : chronique d’une révolution en Iran, L’Invité(e) des Matins d’été, France Culture, 17 août 2023, 39’
23 Audio. Sorour Kasmaï et Chowra Makaremi sur les manifestations en Iran « La peur a changé de camp », L’Heure bleue, France Inter, 2 janvier 2023, 54’49
24 Hijab law in Iran over the decades : the continuing battle for reform / Sahar Maranlou , Lecturer, School of Law, University of Essex, The Conversation, 7 octobre 2022
25 Kashf-e hijab, Wikipédia
26 Esthétique de la vie quotidienne dans la peinture contemporaine d’Iran / Mahsadat Mirhosseininiri, Art et histoire de l’art. Université de la Sorbonne nouvelle – Paris III, 2023, 332 p.
27 Audio. Comment le « voile islamique » a -t-il été politisé en Iran ? Le Pourquoi du comment : histoire, France Culture, 21 février 2023, 3′
28 Esthétique de la vie quotidienne dans la peinture contemporaine d’Iran / Mahsadat Mirhosseininiri, Art et histoire de l’art. Université de la Sorbonne nouvelle – Paris III, 2023, 332 p.
29 Hijab law in Iran over the decades : the continuing battle for reform / Sahar Maranlou , Lecturer, School of Law, University of Essex, The Conversation, 7 octobre 2022
30 Iran : des mouvements éclatés à la révolte des femmes / Farhad Khosrokhavar, Sociologue et directeur d’études à l’EHESS, Le Nouvel Obs, 7 octobre 2022
31 Normes vestimentaires et répression sociale en République islamique d’Iran / Ali Jafari in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, n° 28, 2011/2, p. 277-289
32 Condition des femmes en Iran, Wikipédia
33 Le contrôle du corps des femmes, un enjeu fondamental pour la République islamique d’Iran / Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB) The Conversation, 11 octobre 2022
34 La nouvelle contestation en Iran / Chroniques critiques. Zones subversives, 9 Février 2023
35 Normes vestimentaires et répression sociale en République islamique d’Iran / Ali Jafari in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, n° 28, 2011/2, p. 277-289
36 Iran : en mars 1979, la grande manifestation des femmes contre le voile / Camille Lestienne, Le Figaro, 7 octobre 2022 (Abonné.e.s)
37 Hijab law in Iran over the decades : the continuing battle for reform / Sahar Maranlou , Lecturer, School of Law, University of Essex, The Conversation, 7 octobre 2022
38 Femmes, islamisme et féminisme en Iran, Entretien avec Fariba Adelkhah, Entretien conduit par Olfa Lamloum in Femmes et Islamisme 2006, Confluences Méditerranée, n° 59, 2006/4, p. 163-171
39 Le contrôle du corps des femmes, un enjeu fondamental pour la République islamique d’Iran / Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB) The Conversation, 11 octobre 2022
40 Normes vestimentaires et répression sociale en République islamique d’Iran / Ali Jafari in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, n° 28, 2011/2, p. 277-289
41 Femmes, islamisme et féminisme en Iran, Entretien avec Fariba Adelkhah, Entretien conduit par Olfa Lamloum in Femmes et Islamisme 2006, Confluences Méditerranée, n° 59, 2006/4, p. 163-171
42 Iran : qu’est-ce que la police des mœurs ? / Marion Fontaine, journaliste, Géo, 5 décembre 2022
43 Normes vestimentaires et répression sociale en République islamique d’Iran / Ali Jafari in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, n° 28, 2011/2, p. 277-289
44 Iran : qu’est-ce que la police des mœurs ? / Marion Fontaine, journaliste, Géo, 5 décembre 2022
45 Contestation contre le régime, activisme géopolitique, crise économique : où va l’Iran ? / Mohammad-Reza Djalili, politologue, professeur émérite au Geneva Graduate Institute, Le Temps, 30 juillet 2023 (Abonné.e.s)
46 Les Iraniennes peuvent-elles faire plier le régime ? / Firouzeh Nahavandi professeure émérite à l’Université libre de Bruxelles, Le Temps, 24 juillet 2023 (Abonné.e.s)
47 Audio. Femme, vie, liberté : chronique d’une révolution en Iran, L’Invité(e) des Matins d’été, France Culture, 17 août 2023, 39’
48 Le mouvement Mahsa, le premier mouvement féministe iranien / Farhad Khosrokhavar, sociologue, ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, La Grande Conversation, 5 juillet 2023
49 Iran protests : majority of people reject compulsory hijab and an Islamic regime, surveys find / Pooyan Tamimi Arab, Assistant Professor of Religious Studies, Utrecht University ; Ammar Maleki, Assistant Professor, Public Law and Governance, Tilburg University, The Conversation, 28 septembre 2022
50 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
51 En Iran, le droit au bonheur / Laetitia Nanquette enseignante-chercheuse en littérature, Université de New South Wales, Sydney, Australie, Le Temps, 30 juillet 2023 (Abonné.e.s)
52 Les Iraniennes peuvent-elles faire plier le régime ? / Firouzeh Nahavandi professeure émérite à l’Université libre de Bruxelles, Le Temps, 24 juillet 2023 (Abonné.e.s)
53 Femmes iraniennes en lutte. Le cauchemar du régime islamique / Parvin Ardalan in 83. Multitudes 83. Eté 2021. Majeure 83. L’Iran par-delà la République islamique
54 Idéologisation du religieux et impact sur l’égalité. Le cas iranien / Chahla Chafiq in Femmes, printemps arabes et revendications citoyennes. Sous la direction de Gaëlle Gillot et Andrea Martinez, IRD Éditions, 2016, p. 95-112
55 Idéologisation du religieux et impact sur l’égalité. Le cas iranien / Chahla Chafiq in Femmes, printemps arabes et revendications citoyennes. Sous la direction de Gaëlle Gillot et Andrea Martinez, IRD Éditions, 2016, p. 95-112
56 Femme ! Vie ! Liberté ! / Chowra Makaremi, La Découverte, 2023, 342 p.
57 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
58 La sécularisation par le bas en Iran : Femmes, familles et relations de genre / Marie Ladier-Fouladi, Raison publique, 22 avril 2015
59 Femmes iraniennes en lutte. Le cauchemar du régime islamique / Parvin Ardalan in 83. Multitudes 83. Eté 2021. Majeure 83. L’Iran par-delà la République islamique
60 Femmes iraniennes en lutte. Le cauchemar du régime islamique / Parvin Ardalan in 83. Multitudes 83. Eté 2021. Majeure 83. L’Iran par-delà la République islamique
61 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
62 Iran : attaques à l’acide contre des femmes « mal voilées » à Ispahan / Le service International du Monde, Le Monde, 17 octobre 2014
63 Idéologisation du religieux et impact sur l’égalité. Le cas iranien / Chahla Chafiq in Femmes, printemps arabes et revendications citoyennes. Sous la direction de Gaëlle Gillot et Andrea Martinez, IRD Éditions, 2016, p. 95-112
64 Iran : les principaux mouvements de contestation contre le régime depuis 1979, RFI, 10 février 2023
65 Iran on fire : Once again, women are on the vanguard of transformative change / Vrinda Narain, Associate Professor, Faculty of Law, Centre for Human Rights and Legal Pluralism ; Max Bell School of Public Policy, McGill University ; Fatemeh Sadeghi, Research associate, Politics, UCL, The Conversation, 26 septembre 2022
66 Idéologisation du religieux et impact sur l’égalité. Le cas iranien / Chahla Chafiq in Femmes, printemps arabes et revendications citoyennes. Sous la direction de Gaëlle Gillot et Andrea Martinez, IRD Éditions, 2016, p. 95-112
67 Femmes iraniennes en lutte. Le cauchemar du régime islamique / Parvin Ardalan in 83. Multitudes 83. Eté 2021. Majeure 83. L’Iran par-delà la République islamique
68 Femme ! Vie ! Liberté ! / Chowra Makaremi, La Découverte, 2023, 342 p.
69 La sécularisation par le bas en Iran : Femmes, familles et relations de genre / Marie Ladier-Fouladi, Raison publique, 22 avril 2015
70 La sécularisation par le bas en Iran : Femmes, familles et relations de genre / Marie Ladier-Fouladi, Raison publique, 22 avril 2015
71 Badjens / Delphine Minoui, Seuil Roman, 2024, 149 p.
72 Vidéo. Femme, vie, liberté, une révolution iranienne / Claire Billet ; Mohamad Hosseini, Arte boutique, 2023, 52′
73 « Pour la première fois de nos vies, nous étions libres » : des Iraniennes racontent le soulèvement / De nos envoyés spéciaux dans le Kurdistan irakien, Théophile Simon (texte) et Sadak Souici (photos) – Amnesty International France, La Chronique. Le magazine des droits humains, 5 octobre 2023
74 Les Iraniennes peuvent-elles faire plier le régime ? / Firouzeh Nahavandi professeure émérite à l’Université libre de Bruxelles, Le Temps, 24 juillet 2023 (Abonné.e.s)
75 10 points sur l’embrasement iranien / Pierre Ramond, Le Grand Continent, 22 septembre 2022
76 Mouvement de contestations en Iran : une nouvelle séquence de l’histoire de la République islamique / Didier Billion, Directeur adjoint de l’IRIS, IRIS, 6 décembre 2022
77 Audio. Femme, vie, liberté : chronique d’une révolution en Iran, L’Invité(e) des Matins d’été, France Culture, 17 août 2023, 39’
78 Renverser le régime des mollahs ? Un regard tiré de l’économie politique / Vahid Yücesoy, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
79 Mouvement de contestations en Iran : une nouvelle séquence de l’histoire de la République islamique / Didier Billion, Directeur adjoint de l’IRIS, IRIS, 6 décembre 2022
80 Iran : les principaux mouvements de contestation contre le régime depuis 1979 / Patricia Blettery, RFI, 10 février 2023
81 Iran : les principaux mouvements de contestation contre le régime depuis 1979 / Patricia Blettery, RFI, 10 février 2023
82 Renverser le régime des mollahs ? Un regard tiré de l’économie politique / Vahid Yücesoy, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
83 Iran : expression de la frustration économique ou véritable révolution ? / Lise Verbeke, France Culture, 3 janvier 2018, mis à jour le 2 février 2018
84 Renverser le régime des mollahs ? Un regard tiré de l’économie politique / Vahid Yücesoy, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
85 Iran : les principaux mouvements de contestation contre le régime depuis 1979 / Patricia Blettery, RFI, 10 février 2023
86 Iran, SOS jeunesse : les sanglots longs de la répression / Fariba Hachtroudi, Le Nouvel Obs, 23 novembre 2022
87 Renverser le régime des mollahs ? Un regard tiré de l’économie politique / Vahid Yücesoy, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
88 La génération « Femme, vie, liberté » / Marie Ladier-Fouladi, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
89 La génération « Femme, vie, liberté » / Marie Ladier-Fouladi, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
90 Iran : des mouvements éclatés à la révolte des femmes / Farhad Khosrokhavar, Sociologue et directeur d’études à l’EHESS, Le Nouvel Obs, 7 octobre 2022
91 Femme, vie, liberté. Un mouvement révolutionnaire en Iran / Azadeh Thiriez-Arjangi, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
92 Vidéo. Femme, vie, liberté, une révolution iranienne / Claire Billet ; Mohamad Hosseini, Arte boutique, 2023, 52′
93 Renverser le régime des mollahs ? Un regard tiré de l’économie politique / Vahid Yücesoy, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
94 Hamit Bozarslan, L’anti-démocratie au XXIe siècle, Iran, Russie, Turquie / Claire Pilidjian, Les Clés du Moyen-Orient, 1er avril 2022
95 Iran : les symboles d’une révolte, une conversation avec Farhad Khosrokhavar / Pierre Ramond, Le Grand Continent, 15 novembre 2022
96 Gardiens de l’ordre, l’ordre des Gardiens / Ramin Parham in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, 2011/2, n° 28, p. 151- 163
97 Iran : les symboles d’une révolte, une conversation avec Farhad Khosrokhavar / Pierre Ramond, Le Grand Continent, 15 novembre 2022
98 Vidéo. La révolte des Iraniennes embrase tout le pays avec Azadeh Kian, Blast, 4 octobre 2022, 17’28
99 Iran : les symboles d’une révolte, une conversation avec Farhad Khosrokhavar / Pierre Ramond, Le Grand Continent, 15 novembre 2022
100 « AXE ABRAHAM » VS « AXE DE LA RÉSISTANCE » : L’IMPACT DES RECOMPOSITIONS RÉGIONALES SUR LA POSTURE STRATÉGIQUE DE L’IRAN / Héloïse Fayet, Chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et coordinatrice du programme « Dissuasion et prolifération », IRIS, Octobre 2022, 13 p.
101 L’Iran, au cœur de la tempête ! Farid Vahid, Fondation Jean Jaurés, 12 mai 2025
102 Dépréciation monétaire en Iran: la chute du régime des mollahs est-elle en vue ? / Hamid Enayat, politologue, spécialiste de l’Iran, les affaires, 12 mai 2025
103 Quelle place pour la jeunesse en Iran ? Areion 24 news, 22 décembre 2022
104 Iran : quand les femmes défient le régime des mollahs / Emmanuel Razavi, Conflits, 29 septembre 2022
105 Renverser le régime des mollahs ? Un regard tiré de l’économie politique / Vahid Yücesoy, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
106 « Femme, Vie, Liberté ! » : des montagnes du Kurdistan aux rues de Téhéran, retour sur l’épopée d’un slogan révolutionnaire kurde historique / Emile Bouvier, Les Clés du Moyen-Orient, 20 octobre 2022
107 Femme ! Vie ! Liberté ! / Chowra Makaremi, La Découverte, 2023, 342 p.
108 Audio. Femme, vie, liberté : révolution en Iran, Les couilles sur la table #86, Binge audio, 24 octobre 2023, 50’33
109 Audio. Sorour Kasmaï et Chowra Makaremi sur les manifestations en Iran « La peur a changé de camp », L’Heure bleue, France Inter, 2 janvier 2023, 54’49
110 « Femme, vie, liberté » / Sous la direction de Marjane Satrapi, L’Iconoclaste, 2023
111 10 points sur l’embrasement iranien / Pierre Ramond, Le Grand Continent, 22 septembre 2022
112 Vidéo. Iran, un peuple se lève contre un gouvernement à l’agonie / Marie Ladier-Fouladi ; Sahand Saber, Blast, 29 novembre 2022, 1 15’43
113 Iran : les symboles d’une révolte, une conversation avec Farhad Khosrokhavar / Pierre Ramond, Le Grand Continent, 15 novembre 2022
114 Vidéo. Femme, vie, liberté, une révolution iranienne / Claire Billet ; Mohamad Hosseini, Arte boutique, 2023, 52′
115 Soulèvement iranien. Les limites d’une interprétation ethnique / Maxime Delavar, Orient XXI, 15 septembre 2023
116 « La révolution féministe en Iran est au bénéfice de toutes et de tous » / Chowra Makaremi, Chargée de recherche CNRS, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux ; Marie-Cécile Naves, Directrice de recherche à l’IRIS, directrice de l’Observatoire Genre et géopolitique, IRIS, 2 novembre 2022
117 Le slogan « Femme Vie Liberté » au cœur de l’insurrection en cours en Iran / Dorna Javan, Politiste, Doctorante en science politique, Enseignant-vacataire), Mediapart, 13 octobre 2022
118 Iran. Quelles revendications des minorités ethno-confessionnelles ? / David Rigoulet-Roze, diploweb, 5 mars 2023
119 Entretien Hamit Bozarslan sur l’Iran – « La jeunesse féminine qui se révolte veut appartenir à une société de citoyens » / Hamit Bozarslan, Ines Gil, Les Clés du Moyen-Orient, 13 avril 2023
120 Iran. Quelles revendications des minorités ethno-confessionnelles ? / David Rigoulet-Roze, diploweb, 5 mars 2023
121 Nation et minorités en Iran : face au fait minoritaire, quelle réponse institutionnelle ? Pierre Emmery, Les Clés du Moyen-Orient, 1er avril 2016
122 Iran. Quelles revendications des minorités ethno-confessionnelles ? / David Rigoulet-Roze, diploweb, 5 mars 2023
123 Minorités ethniques et intégration nationale / Jean-Paul Burdy, blog Questions d’orient, questions d’Occident, 31 mars 2016
124 Iran. Quelles revendications des minorités ethno-confessionnelles ? / David Rigoulet-Roze, diploweb, 5 mars 2023
125 Nation et minorités en Iran : face au fait minoritaire, quelle réponse institutionnelle ? Pierre Emmery, Les Clés du Moyen-Orient, 1er avril 2016
126 Iran. Quelles revendications des minorités ethno-confessionnelles ? / David Rigoulet-Roze, diploweb, 5 mars 2023
127 Nation et minorités en Iran : face au fait minoritaire, quelle réponse institutionnelle ? Pierre Emmery, Les Clés du Moyen-Orient, 1er avril 2016
128 Iran. Quelles revendications des minorités ethno-confessionnelles ? / David Rigoulet-Roze, diploweb, 5 mars 2023
129 Nation et minorités en Iran : face au fait minoritaire, quelle réponse institutionnelle ? Pierre Emmery, Les Clés du Moyen-Orient, 1er avril 2016
130 Iran. Quelles revendications des minorités ethno-confessionnelles ? / David Rigoulet-Roze, diploweb, 5 mars 2023
131 Nation et minorités en Iran : face au fait minoritaire, quelle réponse institutionnelle ? Pierre Emmery, Les Clés du Moyen-Orient, 1er avril 2016
132 Entretien Hamit Bozarslan sur l’Iran – « La jeunesse féminine qui se révolte veut appartenir à une société de citoyens » / Hamit Bozarslan, Ines Gil, Les Clés du Moyen-Orient, 13 avril 2023
133 Le mouvement Mahsa, le premier mouvement féministe iranien / Farhad Khosrokhavar, sociologue, ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, La Grande Conversation, 5 juillet 2023
134 Femme ! Vie ! Liberté ! / Chowra Makaremi, La Découverte, 2023, 342 p.
135 Audio. Femme, vie, liberté : chronique d’une révolution en Iran, L’Invité(e) des Matins d’été, France Culture, 17 août 2023, 39’
136 Iran : des mouvements éclatés à la révolte des femmes / Farhad Khosrokhavar, Sociologue et directeur d’études à l’EHESS, Le Nouvel Obs, 7 octobre 2022
137 Audio. Femme, vie, liberté : chronique d’une révolution en Iran, L’Invité(e) des Matins d’été, France Culture, 17 août 2023, 39’
138 « Tu peux enlever ton foulard, s’il te plaît ? C’est mieux… » / Une Iranienne de l’étranger (anonyme), Le Temps, 28 juillet 2023 (Abonné.e.s)
139 Iran : des mouvements éclatés à la révolte des femmes / Farhad Khosrokhavar, Sociologue et directeur d’études à l’EHESS, Le Nouvel Obs, 7 octobre 2022
140 Iran : les symboles d’une révolte, une conversation avec Farhad Khosrokhavar / Pierre Ramond, Le Grand Continent, 15 novembre 2022)
141 Iran : des mouvements éclatés à la révolte des femmes / Farhad Khosrokhavar, Sociologue et directeur d’études à l’EHESS, Le Nouvel Obs, 7 octobre 2022
142 Iran : les symboles d’une révolte, une conversation avec Farhad Khosrokhavar / Pierre Ramond, Le Grand Continent, 15 novembre 2022
143 Audio. Femme, vie, liberté : chronique d’une révolution en Iran, L’Invité(e) des Matins d’été, France Culture, 17 août 2023, 39’
144 Audio. Sorour Kasmaï et Chowra Makaremi sur les manifestations en Iran « La peur a changé de camp », L’Heure bleue, France Inter, 2 janvier 2023, 54’49
145 La génération « Femme, vie, liberté » / Marie Ladier-Fouladi, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
146 Le mouvement Mahsa, le premier mouvement féministe iranien / Farhad Khosrokhavar, sociologue, ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, La Grande Conversation, 5 juillet 2023
147 Entretien Hamit Bozarslan sur l’Iran – « La jeunesse féminine qui se révolte veut appartenir à une société de citoyens » / Hamit Bozarslan, Ines Gil, Les Clés du Moyen-Orient, 13 avril 2023
148 Audio. Sorour Kasmaï et Chowra Makaremi sur les manifestations en Iran « La peur a changé de camp », L’Heure bleue, France Inter, 2 janvier 2023, 54’49
149 Le mouvement Mahsa, le premier mouvement féministe iranien / Farhad Khosrokhavar, sociologue, ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, La Grande Conversation, 5 juillet 2023
150 Entretien Hamit Bozarslan sur l’Iran – « La jeunesse féminine qui se révolte veut appartenir à une société de citoyens » / Hamit Bozarslan, Ines Gil, Les Clés du Moyen-Orient, 13 avril 2023
151 L’automne du patriarche. Usure de la théocratie en Iran ? / Hamit Bozarslan, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
152 Le mouvement Mahsa, le premier mouvement féministe iranien / Farhad Khosrokhavar, sociologue, ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, La Grande Conversation, 5 juillet 2023
153 La nouvelle jeunesse iranienne : principale protagoniste du changement / Marie Ladier-Fouladi, Espace populations sociétés, n° 2011/2, 2011, p. 291-303
154 Une nouvelle subjectivité féminine en Iran / Farhad Khosrokhavar, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
155 La génération « Femme, vie, liberté » / Marie Ladier-Fouladi, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
156 Changer de régime. L’expérience insurrectionnelle en Iran / Chowra Makaremi, Esprit, avril 2023
157 Le mouvement Mahsa, le premier mouvement féministe iranien / Farhad Khosrokhavar, sociologue, ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, La Grande Conversation, 5 juillet 2023
158 Vidéo. Iran, un peuple se lève contre un gouvernement à l’agonie / Marie Ladier-Fouladi ; Sahand Saber, Blast, 29 novembre 2022, 1 15’43
159 Comment les Iraniens contournent la censure d’Internet pour diffuser des images sur les réseaux sociaux / Caroline Félix, France Inter, 14 octobre 2022
160 Manifestations en Iran : Comment le pays a-t-il acquis son « savoir-faire » pour censurer Internet ? / Diane Regny, 20 minutes, 5 octobre 2022.
161 Comment les Iraniens contournent la censure d’Internet pour diffuser des images sur les réseaux sociaux / Caroline Félix, France Inter, 14 octobre 2022
162 Le mouvement Mahsa, le premier mouvement féministe iranien / Farhad Khosrokhavar, sociologue, ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, La Grande Conversation, 5 juillet 2023
163 Audio. Femme, vie, liberté : chronique d’une révolution en Iran, L’Invité(e) des Matins d’été, France Culture, 17 août 2023, 39’
164 Le mouvement Mahsa, le premier mouvement féministe iranien / Farhad Khosrokhavar, sociologue, ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, La Grande Conversation, 5 juillet 2023
165 Vidéo. Iran : « Femmes, vie, liberté, c’est un projet politique », Mediapart, 29 septembre 2022
166 Vidéo. Femme, vie, liberté, une révolution iranienne / Claire Billet ; Mohamad Hosseini, Arte boutique, 2023, 52′
167 La génération « Femme, vie, liberté » / Marie Ladier-Fouladi, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
168 Changer de régime. L’expérience insurrectionnelle en Iran / Chowra Makaremi, Esprit, avril 2023 (Abonné.e.s)
169 Femme ! Vie ! Liberté ! / Chowra Makaremi, La Découverte, 2023, 342 p.
170 Vidéo. Femme, vie, liberté, une révolution iranienne / Claire Billet ; Mohamad Hosseini, Arte boutique, 2023, 52′
171 Gardiens de l’ordre, l’ordre des Gardiens / Ramin Parham, in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, n° 28, 2011/2, p. 151-163
172 Vidéo. Femme, vie, liberté, une révolution iranienne / Claire Billet ; Mohamad Hosseini, Arte boutique, 2023, 52′
173 Vidéo. Iran, un peuple se lève contre un gouvernement à l’agonie / Marie Ladier-Fouladi ; Sahand Saber, Blast, 29 novembre 2022, 1 15’43
174 Gardiens de l’ordre, l’ordre des Gardiens / Ramin Parham, in Iran, le compte à rebours, Outre-Terre, n° 28, 2011/2, p. 151-163
175 Quand je serai grand, je serai bassidji / Ali Reza Esraghi, Le Courrier international, 28 juillet 2010
176 Audio. Femme, vie, liberté : révolution en Iran, Les couilles sur la table #86, Binge audio, 24 octobre 2023, 50’33
177 Iran : soulèvement unifié, répression dispersée ? / Stéphane Dudoignon, Le Grand Continent, 27 octobre 2022
178 Vidéo. Femme, vie, liberté, une révolution iranienne / Claire Billet ; Mohamad Hosseini, Arte boutique, 2023, 52′
179 Vidéo. Femme, vie, liberté, une révolution iranienne / Claire Billet ; Mohamad Hosseini, Arte boutique, 2023, 52′
180 Audio. Mahsa Amini, femme, vie, liberté, Femmes d’exception, France Inter, 5 juillet 2024, 44′
181 Audio. « Ces femmes refusent de plier » : le combat des Iraniennes se poursuit deux ans après, L’invité de 8h20, France Inter, 15 septembre 2024, 22′
182 Iran – le mouvement « Femme, Vie, Liberté » continue ! / Tina Mostel, Le journal des alternatives, 19 mai 2025
183 Tu ne meurs pas / Ghazal Golshiri ; Marie Sumalla, Éditions GwinZegal & Tipping Expected, 255 p.
184 Vidéo. Femme, vie, liberté, une révolution iranienne / Claire Billet ; Mohamad Hosseini, Arte boutique, 2023, 52′
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