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« On ne naît pas femme, on le devient »… ou pas.
La première vague du féminisme se caractérise par le déterminisme biologique, l’identité sexuelle. La femme possède une essence, vision que Simone de Beauvoir va bouleverser en publiant le « Deuxième sexe ». « On ne naît pas femme, on le devient » représente la rupture entre nature et culture. Ce divorce amorce la deuxième vague du féminisme. Mais pour Judith Butler, la classification « les femmes » des féministes de cette époque n’est pas plus appropriée que celle de « la femme » des féministes de la première vague 1 et elle complète la fameuse citation : « On ne naît pas femme, on le devient » par « ou pas ». En effet, pour Beauvoir, la société nous condamne à devenir une femme, la différence s’avérant irréductible. Pour Butler, les femmes sont ainsi renaturalisées. Jugeant ce processus normatif, elle ajoute ce « ou pas » qui lui permet d’affirmer que le monde de la catégorisation sexuelle n’est pas une évidence, qu’il est construit, et qu’il pourrait même être autrement. La philosophe va à l’encontre de la pensée féministe, celle-ci arguant qu’il n’y aurait que deux identités sexuelles assignées par l’anatomie, et elle va semer le trouble dans le genre en prenant en compte les identités queer telles que la drag queen, la butch, bousculant ainsi la norme hétérosexuelle qu’elle juge normative 2. Judith Butler estime « que « notre genre » ne suit pas nécessairement notre sexe biologique, que notre désir n’épouse pas nécessairement ce « sexe », ni même ce « genre ». Quelqu’un peut être mâle au niveau biologique, être « genré » comme une femme, et avoir un désir homosexuel, hétérosexuel, bi ou a-sexuel. » 3
« Notre genre » ne suit pas nécessairement notre sexe biologique, notre désir n’épouse pas nécessairement ce « sexe », ni même ce « genre ».
Elle pose les bases du féminisme post-moderne, troisième vague féministe.
Nous voyons donc qu’en s’élevant contre le binarisme, Butler s’érige non seulement contre le schéma hommes dominants / femmes dominées, mais qu’elle pointe également la rigidité de la norme obligeant des femmes et des homosexuels à se constituer comme des sujets inférieurs, mais aussi beaucoup d’hommes, car la norme qui régit ces derniers les asservit tout autant. Le sujet et le genre complètement dénaturalisés sont constitués par le pouvoir. Ils sont le produit d’un environnement social spécifique explique Capucine Mercier. 4
Pour Judith Butler, le sexe conçu comme naturel, comme immuable est la résultante du discours. Dire « C’est une fille » ou « C’est un garçon » dès la naissance, le répéter tout au long de l’existence, bâtit le sexe. Il s’agit du « performatif inaugural » 5. « Le sujet et son genre sont […] le produit de discours performatifs qui font exister ce qu’ils énoncent et dérivent leur pouvoir de la norme qu’ils citent. » 6
Le sujet et son genre sont le produit de discours performatifs. Le genre d’une personne s’élabore à travers la répétition sans fin des normes sociales.
Judith Butler reprend les analyses linguistiques d’Austin qui dissocie les énoncés descriptifs, déclaratifs et les énoncés performatifs. Ce dernier produisant ce qu’il dit au moment où il le dit 7 . « L’un des éléments clés pour assurer l’effectivité d’un énoncé performatif est précisément qu’il s’agisse d’une citation » 8 .
Le genre d’une personne s’élabore à travers les comportements et interactions journalières, la répétition sans fin des normes sociales. C’est ce qui rend ces normes effectives et le pouvoir normatif accablant. Nous mettons en scène nos genres au quotidien. Une femme qui se maquille performe la féminité, alors qu’un homme qui se maquille subvertit le genre. La non-conformité d’un individu à ces normes engendre, selon Butler, une résistance capitale et un changement collectif 9.
Possibilité nous est offerte d’introduire du trouble, de l’incohérence, de l’illisibilité dans cette réitération. La théorie de Butler ne fait pas disparaître le genre, elle le fait et le refait 10. Le genre peut être resignifié. Les figures du « drag queen » et de la butch déstabilisent et déconcertent. Parodiques, elles font dysfonctionner l’hétéronormativité et permettent de déconstruire les normes dominantes en rendant visibles les minorités dérangeantes, remettant en cause l’ordre social 11.
La théorie de Butler ne fait pas disparaître le genre, elle le fait et le refait.
1 A corps perdu : corps et gender studies / Raphaëlle Bellon ; Cyril Barde, Article issu de la journée d’étude du laboratoire junior CMDR « Le corps et les gender studies », ENS de Lyon, 20 novembre 2012
2 Judith Butler. En finir avec le binarisme, philosophie magazine, 28 mai 2015
3 Judith Butler. “Homme ou femme, peut-on devenir autre chose ?” Suzi Vieira, philosophie magazine, 26 septembre 2012
4 Entre oppression et subjectivité : le sujet du genre de Simone de Beauvoir à Judith Butler. Maîtrise en philosophie avec mémoire / Capucine Mercier, Université Laval, Québec, Canada, 2020, p. 5
5 A corps perdu : corps et gender studies / Raphaëlle Bellon ; Cyril Barde, Article issu de la journée d’étude du laboratoire junior CMDR « Le corps et les gender studies », ENS de Lyon, 20 novembre 2012
6 Entre oppression et subjectivité : le sujet du genre de Simone de Beauvoir à Judith Butler. Maîtrise en philosophie avec mémoire / Capucine Mercier, Université Laval, Québec, Canada, 2020 p. 5
7 A corps perdu : corps et gender studies / Raphaëlle Bellon ; Cyril Barde, Article issu de la journée d’étude du laboratoire junior CMDR « Le corps et les gender studies », ENS de Lyon, 20 novembre 2012
8 Entre oppression et subjectivité : le sujet du genre de Simone de Beauvoir à Judith Butler. Maîtrise en philosophie avec mémoire / Capucine Mercier, Université Laval, Québec, Canada, 2020, p. 85
9 Le regain du militantisme par les mouvements féministes contemporains (Chapitre 3) / Fanny Benedetti, Lorelei Colin, Julie Rousseau, In Luttes féministes à travers le monde, UGA Éditions, 2023, pp. 113-165
10 A corps perdu : corps et gender studies / Raphaëlle Bellon ; Cyril Barde, Article issu de la journée d’étude du laboratoire junior CMDR « Le corps et les gender studies », ENS de Lyon, 20 novembre 2012
11 Judith Butler. En finir avec le binarisme, philosophie magazine, 28 mai 2015
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